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Oblivion Song : une certaine vision du monde d'après

Oblivion Song : une certaine vision du monde d'après

chronique

Si la plupart des lecteurs de comics connaissent maintenant très bien le nom de Robert Kirkman, notamment pour les monuments modernes que sont The Walking Dead et Invincible, toutes ses oeuvres ne sont pas forcément reconnues par le plus grand nombre. Alors que la dernière nouveauté du prolifique auteur, Fire Power, a démarré sa publication en single issues, nous est venue l'envie de remettre un coup de projecteur sur Oblivion Song, qu'il scénarise en compagnie du dessinateur Lorenzo De Felici. Si la série a passé le cap du vingt-cinquième numéro aux Etats-Unis, un troisième tome sortait récemment chez Delcourt pour le lectorat de l'autre côté de l'Atlantique, une belle occasion de faire le point après un volume d'ouverture que l'on avait trouvé intrigant. Et de voir comment Kirkman réussit à renouveler la série au fil des arcs.

On vous expose une nouvelle fois le point de départ d'Oblivion Song, si vous n'aviez pas pris le train en route lors du lancement. La ville de Philadelphie a été victime d'un énorme cataclysme : un pan tout entier en a disparu, et a été transporté dans une autre dimension, hostile, sauvage et peuplée de créatures repoussantes et gigantesques. Alors qu'une partie de cet univers effrayant a, lui, été transporté également sur notre Terre, la population de Philadelphie a dû apprendre à vivre avec les conséquences de la "Transférance". Dix ans plus tard, alors que chacun réussit ou non à faire le deuil de ses disparus, un scientifique, Nathan, a mis au point un équipement qui permet de partir dans cette dimension, l'Oblivion, pour partir à  la recherche d'éventuels survivants.


Dans tout (bon) récit de catastrophe, de science-fiction ou d'horreur, se cache souvent une exploration de la société et des comportements humains. Kirkman se sera déjà largement attelé à l'analyse sociale ou essentialiste dans The Walking Dead, qui, bien au-delà de la simple présence des zombies mangeurs de chair, abordait la façon dont les groupes pouvaient se construire et comment la société américaine (sinon occidentale) tentait de se reformer dans un monde où elle avait tout perdu. On retrouve certains de ces éléments dans Oblivion Song, bien que l'auteur ne se place pas du tout dans le même contexte. Le monde n'est pas à l'abandon, il s'agit seulement d'une partie d'une grande ville qui s'est retrouvée transportée dans un environnement a priori très hostile - à moins que les choses ne soient pas comme on l'envisagerait. 

Quel est le but des individus dans une société ? Comment se construit-on un idéal de vie ? Comment régir sa vie quotidienne, et aspirer à une certaine forme de bonheur ? Quelles sont les réelles difficultés que l'on croise au jour le jour ? C'est de cet ensemble d'interrogations que Kirkman souhaite discuter dans Oblivion Song. Passée la découverte de cet inconnu qui fascine et qui effraie en même temps, dès le second arc, l'auteur, usant d'un conflit entre Nathan et son frère retrouvé, illustre le rapport à la vie "moderne" que tout un chacun peut avoir. Sans prêter au scénariste une intention quelconque, on pourra se poser la question de l'âge - combien sommes-nous à rêver à un certain degré de finir nos jours dans les montagnes entre deux pâturages ? Quelle personne n'en a pas assez du bruit, de la folie dynamique et de l'accélérationisme présent dans les grandes métropoles. Si une vie plus rupestre est alors synonyme de calme, si se reconstruire dans un nouvel environnement permet d'aller à une forme "d'essentiel", alors pourquoi ne pas y emmener d'autres que nous, ou pourquoi vouloir à tout prix faire revenir ceux qui se sont habitués à l'Oblivion ?


Kirkman n'a évidemment pas de réponse tranchée sur ces questions, si ce n'est qu'il semble vouloir simplement donner le choix à ses protagoniste, une forme de libre arbitre jusqu'au-boutiste, et quand bien même l'environnement de l'Oblivion ne semble pas des plus charmants. Alors que le premier arc questionnait l'individualité par rapport à des traumatismes divers (la perte d'une personne, le deuil, le fait d'aller de l'avant) et à un élément d'inconnu, le second arc (et donc le second tome) est là pour prendre élargir l'angle d'attaque, non pas à l'échelle de l'individu, mais à celui du collectif. Le scénariste veut explorer ce qui constitue essentiellement les formes de vie en communauté, et le rapport à ce qui est vital dans des environnements extrêmes - qu'on pourrait associer à des temps de crise. Chose amusante à la lecture, forcément, à l'heure actuelle, où une situation inédite a mis en lumière de façon brutale quels sont, par exemple, les métiers réellement essentiels à nos formes de société. 

La catastrophe d'Oblivion, on l'avait déjà écrit, pourrait se lire comme la métaphore d'une catastrophe écologique et la façon dont on accompagne les survivants est, en quelque sorte, une reconstruction façon monde nouveau - ou monde d'après, pour rester dans le contexte actuel. Mais ce serait aussi oublier la part sociétale de cette terre inconnue, ce qui nous amène à nous pencher sur le troisième arc/tome. C'est là dedans que Kirkman et Felici bifurquent vers un élément plus classique de la SF, avec une confrontation avec les Sans-visages, un peuple aux motivations obscures (et pas forcément bienveillantes). L'apparence que leur donne l'artiste renverrait un peu à des conquistadores, sur leurs étranges chevaux, ce qui frappe par rapport à l'Histoire des Etats-Unis, et dans le récit puisqu'il s'agit là d'un peuple autochtone. Kirkman renverse donc le rapport de force, bien que l'on ne soit pas encore à l'abri de toute surprise sur les réels intérêt de ce peuple extra-terrestre.


Une nouvelle fois, l'axe thématique ira faire quelques variations, puisque c'est l'appartenance aux communautés, et quelque part de racisme également, que nous parle Oblivion Song avec ce troisième arc narratif. Bien que Kirkman utilise des éléments toujours communs au fil des numéros, en s'amusant notamment avec le système de Nathan qui permet de passer d'une dimension à l'autre, on peut observer comment l'auteur a des idées bien spécifiques, distillées au fil de son récit. Ce afin de ne pas ennuyer le lecteur, mais aussi de le faire voyager dans ses pensées en même temps qu'il lui fait explorer son monde. Car les secrets sont encore nombreux, et Lorenzo De Felici n'a pas fini de les illustrer. Il faut reconnaître à l'artiste un trait inspiré pour le bestiaire de l'Oblivion, et une approche du découpage qui fait ressortir les racines européennes de l'artiste, avec un comics qui ne ressemble pas forcément à ses compères américains. Une évidence quelque part, tant l'art séquentiel emprunte de formes diverses et variées, quel que soit son origine.

Difficile de dire encore quelle longévité veulent donner Kirkman et De Felici à Oblivion Song. Le quatrième tome de Delcourt viendra conclure cet arc, avec un #25 qui doit donner encore une nouvelle orientation à la série. C'est ce que l'on a pu observer au fil de la lecture : bien qu'au premier degré, il est facile de ne s'intéresser qu'à des personnages et à leurs intérêts personnels dans le récit, Oblivion Song n'est pas qu'une (bonne) histoire de science-fiction. Kirkman interroge ses contemporains sur leur rapport à l'inconnu, à la société moderne, à la reconstruction, à l'écologie, en variant sensiblement les thématiques au fil des arcs. A l'échelle de l'individu ou de la communauté, il nous emmène dans ses questionnements, sur ce qui doit être le plus important en des temps de crise. Forcément, à lire aujourd'hui, le récit n'en gagne qu'en puissance. En espérant que notre "monde d'après" ne soit jamais au même niveau que l'Oblivion, le titre mérite votre intérêt. En attendant la suite... et ce qu'il adviendra du projet de film.

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Arno Kikoo
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