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Birds of Prey : Atomique Blonde

Birds of Prey : Atomique Blonde

ReviewCinéma
On a aimé• Fidèle à l'héroïne
• Violent, bordélique
• Les costumes d'Erin Benach
• Une mise en scène qui s'amuse
• De bonnes bastons
On a moins aimé• Un premier tiers au montage difficile
• Budget limité aux effets spéciaux
• Huntress (et le masque noir) en retrait
Notre note

Depuis que les industriels du cinéma de masse, guidés par le public, se sont aperçus que les adaptations de comics étaient un filon à saisir, Warner Bros. s'est taillé une certaine réputation. L'entreprise mère de DC Comics s'est engouffrée dans la décennie passée d'un pas incertain. Entre l'héritage des oeuvres de Christopher Nolan, l'envie de s'en remettre à des artistes proposant une certaine vision, et surtout, en face, une concurrence féroce du côté de Disney avec des projets de commande plus rentables et plus appréciés dans leur ensemble, l'équilibre a eu du mal à se trouver. 
 
La première apparition d'Harley Quinn au cinéma s'est faite dans un contexte particulièrement difficile dans ce plan de double-jeu créatif : après avoir été chercher David Ayer, cinéaste de genre amoureux des flingues et des rixes entre policiers ripoux et truands tatoués, le studio saborde le projet original, confie le montage aux équipes promotionnelles, et laisse de sales idées se promener çà et là. Le Joker de Jared Leto, le costume d'Harley, de tristes souvenirs qu'on aime parfois exhumer pour le devoir de mémoire (et aussi parce qu'on a parfois envie de se marrer). Margot Robbie, comme beaucoup d'actrices "à physique" à Hollywood, passe tout près du piège qui se sera abattu sur tant d'autres avant elle - être enfermée dans la case du rôle type de la femme séduisante dans des productions de bas niveau plus intéressées par la forme et peu par le fond. 
 
En l'espace de quelques années, dans la foulée de l'échec retentissant de Justice League, de méthodes de productions qui auront très vite trouvé leurs limites et d'une formule à retrouver, une restructuration d'ampleur sévit dans les bureaux en interne. Warner Bros., amnésique, commence peu à peu à retrouver la mémoire. Subitement, on accepte de laisser Matt Reeves peaufiner son projet, on valide du bout des lèvres un projet à part sur le Joker, et sur Aquaman, on accepte d'allonger les billets, compensant ainsi l'étendue nanard du film de James Wan par une générosité maladroite de grand défouloir gras et agréable à l'oeil, comme un immense buffet de côtelettes après des semaines de vache maigre. Dans ce contexte, Birds of Prey (et la Fantabuleuse Histoire d'Harley Quinn) passe pour le troisième signal d'un début de remise en forme. Sincère, bordélique, rythmé, le projet ne s'inscrit pas dans la fameuse case du "genre" super-héros telle que l'édicte Marvel Studios, et, dans ses imperfections, se laisse découvrir comme un plaisir foutraque et honnête où l'on ne sent pas la toute-puissante main aveugle du Warner Bros. d'autrefois. Comme quoi, les échecs, même les plus graves, font bel et bien partie du processus d'apprentissage - et cette fois, pas de pétition à l'horizon.


Le film démarre sur un pré-supposé habituel : Joker quitte Harley, Harley découvre la solitude. Ivre, l'héroïne décide symboliquement de rendre la rupture plus authentique en balançant une citerne à essence dans l'usine d'Ace Chemicals, où elle avait accepté de sauter dans le grand bain d'acide pour prouver son amour. L'explosion qui s'en suit, absurde, invraisemblable et tonitruante, décrit en sous-texte la trajectoire toute entière de ce projet. Plus tard, sur les lieux, l'officier Renee Montoya explique que ce geste est à voir comme un immense majeur levé en direction du Joker, et qu'à présent que toute la ville est au courant de leur séparation consommée, l'héroïne s'expose aux vengeances de ses anciennes victimes. En termes de production, Birds of Prey suit cette logique d'ensemble : un film en forme de vengeance sur sa première prestation, ou sur l'époque où elle servait de présentoir à joli sourire pour certaines oeuvres de commande. A grand renfort d'effets pyrotechniques, d'une comédienne réinventée en productrice qui cherche à se réapproprier un rôle qui lui plaît, cette nouvelle adaptation prend des atours de grand chaos joyeux et pétaradant, se moquant de certaines règles de logique et défendant l'idée de se faire une place (en tant que femme) dans une industrie pas toujours tendre ou hospitalière.
 
De ce côté là, quelques indices apparaissent tout au long de l'aventure. Le premier costume de Suicide Squad, un avis de recherche placardé dans le commissariat, une hyène qui lèche les barreaux de sa cage comme Harley léchait son barreau de cellule face à la caméra de David Ayer. Gardant une main assez ferme sur le budget (un ensemble quelque fois fauché, souvent économe), Robbie, avec Sue Kroll et Bryan Unkeless (I, Tonya) seront parvenus à trouver l'authenticité qui manque parfois à ce répertoire fermé des adaptations à licence. Mieux encore, les scènes de combat, commandées par le studio de peur de désarçonner le spectateur moyen, grand amateur de baffes, participent de cette envie de trouver le ton juste. Les chorégraphies s'adaptent à l'énergie des quatre héroïnes, en plus de livrer la quantité suffisante de mandales pour distraire, suivre le rythme fou et énergique de cet ensemble désordonné.


 
Les costumes d'Erin Benach appuient eux-aussi sur cette volonté de réappropriation. Quoi que la méthode ne soit plus de repaître l'adolescent de base de bouts de chair apparente, les tenues jouent encore la carte du sexy, mais dans un style plus féminin, moins masturbatoire, plus affirmé. Le film cherche un compromis entre différents genres, avec une imagerie de clip, des fringues accordées au caractère ou à la personnalité de chaque personnage (bariolé et tape à l'oeil pour Harley, élégant et stylisé pour Canary, discret et tactique pour Huntress). Une scène de déshabillage forcé, plutôt difficile, intervient d'ailleurs à un certain moment, comme un autre ajout au sous-texte revanchard de Margot Robbie sur sa tenue de Suicide Squad. Une variété d'ensemble bienvenue, avec aussi de belles tenues pour les deux personnages masculins du film, Szasz et Roman Sionis, aussi ajustées à leurs caractères atypiques. Plus important : la réalisatrice Cathy Yan n'a pas, ou pas entièrement, cédé la main sur le montage. Birds of Prey est assez particulier de ce point de vue.
 
Les trois actes se repèrent vite. D'abord, une introduction où Harley narre et expose, dans style à la croisée des chemins entre le Deadpool de Tim Miller, avec ce jeu d'aller et retour entre passé et présent peuplé de blagues et de décalages comiques, un peu de confusion marrante dans le texte à la Shane Black, et un "MacGuffin" central, fameuse technique de scénarisation par l'objet qui change de mains, à la Guy Ritchie (à plus forte raison Snatch avec le diamant). Le film met ouvertement en accord la forme et le fond - une histoire racontée par Harley est forcément une histoire racontée dans le désordre. De ce côté là, Yan fait du bon travail avec un métrage aux couleurs de son héroïne. A l'image de son équivalent séquentiel, celle-ci a toutefois les défauts de ses qualités : pas mal d'ellipses et une voix off très présente, beaucoup d'informations en peu de temps, des blagues qui tombent à plat à force de trop en faire, on se paume un peu dans ce premier tiers qui laisse peu de place à la respiration et empile, empile, avant de trouver le bon tempo. Dans le répertoire des bonnes idées, on note que Birds of Prey s'ouvre sur une petite séquence animée, un choix intelligent pour le personnage d'Harley Quinn apparue pour la première fois dans un cartoon (et qui évite à tout le monde de retrouver Jared Leto en clown bizarre).


 
En surimpression de certains arrêts sur images, le film propose aussi un gimmick de présentation pour les personnages et les seconds rôles (vous voyez dans Creed quand l'image se fige et qu'un petit carton apparaît avec le nom du vilain boxeur et son compteur de victoires/défaites ? C'est un peu ça, en rigolo). Ludique, le film fonctionne lorsqu'il ne se prend pas au sérieux et trouve les notes justes dans la narration d'Harley Quinn pour amuser, glisser quelques petits messages, ou distraire par l'action. L'ensemble est violent et sans concessions -  bataille gagnée pour Robbie et Yan à l'extrême inverse de Suicide Squad et ses vilains pas vraiment vilains. Birds of Prey aligne les cadavres, les balles dans la tête et les coups de couteau, personne ne cherche à justifier Harley ou Huntress dans leur facilité à tuer, personne ne hurle "les filles, c'est mal". Le film échappe dans son ensemble à l'élan moraliste des productions hollywoodiennes d'usage, topant dans les codes du cinéma de genre et de truands-bras-cassés avec une nonchalance libératrice. Le nombre conséquent de macchabées laissés en chemin ? Pas notre problème, laissons ça aux employés municipaux.

Côté montage, passé le premier acte, le film trouve le bon rythme entre l'ensemble des personnages en présence pour maintenir un peu d'ordre dans ce chaos. Cathy Yan s'amuse avec ce que lui propose ce pan réduit de Gotham City, tandis que Chad Stahelski et la seconde équipe enchaînent les scènes d'action (frénétiques, désordonnées ou marrantes lorsqu'il s'agit d'Harley, plus maîtrisées dans le cas de Canary). L'interjection surprise d'une scène de chant particulière, où Margot Robbie se grime en Marilyn, aperçue dans les bande-annonces, surprend. Stigmate d'une bataille perdue entre la productrice et le studio après les projections tests, dans un film qui aurait apparemment dû être plus musical et insérer des scènes à la Broadway entre les séquences de dialogue, celle-ci ajoute au chaos ambiant. Le manque de respiration du premier acte s'explique sans doute par ces coupes au montage.


La musique est tout de même présente, et en bonne quantité. Yan l'utilise pour faire résonner la voix (timide) de Huntress, la moins présente et la moins causante des trois, dans des emprunts stylistiques au cinéma de la vengeance qui évoqueront forcément Kill Bill au vu de l'origine précise de ce personnage. D'autres moments seraient plutôt à rapprocher du jumeau maléfique de Tarantino, Robert Rodriguez, et sa capacité à s'amuser avec les codes de la série B (la première fois que l'on voit Black Mask en costume par exemple, l'économie de moyens dans les décors et des jeux de zoom vifs et parodiques sur les visages). Birds of Prey ne manque pas d'idées et parvient à ne pas se prendre au sérieux, optant pour amuser avec la mise en scène et le grand terrain de jeu de cette aventure. Tout n'est pas parfait, et Yan se cogne parfois contre ses moyens limités, notamment un troisième acte qui déborde de brume artificielle et de fonds verts à petit budget. La caméra donne toutefois sa propre identité au projet et reste généralement inventive pour peu qu'on accroche au délire.

En ce qui concerne les références aux comics, les scénaristes ont fait leurs devoirs. L'origine de Black Mask en comics est fidèlement retranscrite, le scénario aborde le cas des deux Black Canary mère et fille, de nombreux hommages à l'histoire éditoriale de Harley se retrouvent çà et là (observez les postes de télé'). Si l'on aimerait entendre parler davantage d'autres super-méchants dans cette Gotham City ensoleillée, on donne suffisamment à manger au fan assidu pour construire une petite grille de lecture méta' entre l'héroïne de BD et son adaptation. Warner Bros. parie sur la diversité dans sa distribution et son sous-texte de fond, un militantisme d'ensemble qui ne transforme pas le script en plaidoyer trop envahissant dans la structure même du récit (malheureusement ou heureusement), largement compréhensible dans les codes d'un film de truands et de course-poursuites réapproprié sous un angle féministe.


En définitive, il en ressort une aventure honnête et délirante fidèle à la promesse déployée dans les bande-annonces et les différents discours d'intention. Là où l'habitude veut que les comédiennes et comédiens vantent la bonne ambiance des plateaux ou l'aspect familial de certains projets, on aurait envie de croire que Birds of Prey a vraiment été tourné dans la bonne humeur, avec des actrices qui se sont bien marrées. Ewan McGregor s'éclate dans un perpétuel surjeu maniéré et musical (imaginez Sam Rockwell en méchant de James Bond), Chris Messina est un peu en retrait. Margot Robbie cerne son personnage, là-encore, meilleure sans ses interactions plus sérieuses et moins loufoques à haute dose, Jurnee Smollet-Bell campe une Canary tout à fait convaincante, Rosie Perez trouve le ton juste en flic pugnace ouvertement caricaturale, Ella Jay Basco fonctionne en gamine attachante sans agacer, et Mary-Elizabeth Winstead, géniale parodie de Huntress, réussit à être le personnage le plus drôle du film malgré un nombre de scènes considérablement limité.

L'ensemble humain se répond bien dans une oeuvre qui se donne les bonnes priorités, restant fidèle à la personnalité de la Harley des comics et en ne survendant pas une aventure qui reste, une fois que tout est dit, un divertissement efficace et plus modeste que la plupart de ses confrères blindés de budget et de fonds verts prétentieux. Plus créatif et varié que Deadpool dans la mise en scène et le déploiement de cet humour méta' et libérateur, Birds of Prey tient toute ses promesses en se cassant la figure à une ou deux reprises. Sans être exempt de défauts, le film de Yan et Robbie prouve que Warner Bros. sait lâcher la bride lorsque l'impératif financier n'est plus un problème aussi handicapant, et, pour les nombreux(ses) spectateurs et spectatrices qui reprochaient à Joker sa tonalité morbide ou son emphase sur le héros masculin en colère, le studio joue sur les deux tableaux avec une contre-proposition plus délurée, colorée et féminine. Ça s'appelle la variété de l'offre, à inspirer d'éventuels concurrents.

Birds of Prey (et la Fantabuleuse Histoire d'Harley Quinn) se présente comme un bon divertissement. Par le passé, ce fameux qualificatif, utilisé comme cache-misère par des studios liberticides, aura pu résonner différemment de ce que les fans espéraient entendre à propos de leurs personnages préférés - dans le cas présent, on se retrouve bien en face d'une aventure à la hauteur d'Harley Quinn dans les bons comme les mauvais jours. Distribution efficace, costumes réussis, montage rythmé et distrayant, quelques belles bagarres et un ensemble qui sait s'amuser en insérant différents messages utiles en direction du public, cette première adaptation de l'année donne la tonalité pour un studio qui continue d'apprendre de ses erreurs et redevient, peu à peu, créatif dans sa proposition. On s'amuse dans cette Gotham plus fauchée que l'habituelle cité aux immenses bâtiments, avec ce méchant de plus petite importance et ses héroïnes paumées mais généreuses en coups de talons. Comme la Fox avant eux, les producteurs en poste auront enfin compris l'intérêt de mettre en accord les oeuvres avec les personnages. Haut en couleur et riche en belles trouvailles, on prend part à l'aventure, en croisant les doigts pour que la pente ascendante ne s'inverse pas d'ici les prochaines années.

Corentin
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