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Hal Jordan : Green Lantern tome 1 : Réjouissant foutoir cosmique au goût de 2000AD

Hal Jordan : Green Lantern tome 1 : Réjouissant foutoir cosmique au goût de 2000AD

ReviewUrban
On a aimé• Un ensemble fou et varié
• Le style volontairement rétro'
• Liam Sharp s'adapte à la folie du scénario
• Hal Jordan arrête la Terre
• Premiers pas d'un run riche et fouillé
On a moins aimé• Demande de s'adapter à la rigidité des dialogues
• Tout le monde n'accrochera pas à la promesse d'ensemble
Notre note

En octobre dernier, Urban Comics publiait le premier volume de la série The Green Lantern de Grant Morrison et Liam Sharp (sous le titre Hal Jordan : Green Lantern), un projet particulier apparu peu de temps après l'abandon des Green Lanterns de Dan Jurgens. Lors de la sortie des premiers numéros, beaucoup s'attendaient à ce que le titre ne soit qu'une énième parution interstitielle, le temps que l'éditeur décide de ce qu'il convenait de faire des porteurs de bagues (qui n'intéressaient pas forcément les deux têtes pensantes de l'époque, Brian Bendis ou Scott Snyder). Peu à peu, The Green Lantern a cependant pris de plus en plus de place. Pas nécessairement sur les autres séries - l'ensemble restant très auto-suffisant - mais, à défaut d'autre chose, la série sera parvenu à s'imposer comme un rendez-vous essentiel pour les passionnés de cette mythologie particulière, ainsi que pour les amoureux du Grant Morrison d'autrefois. 

Trouvant dans le personnage d'Hal Jordan l'inspiration de ses premiers travaux, le scénariste, accompagné par un dessinateur à cheval entre plusieurs écoles de style, livre un de ces projets d'auteur authentique, entier, sans concessions, dont DC Comics est encore capable occasionnellement. Pas seulement passéiste, le Green Lantern de Morrison et Liam Sharp est un manifeste pour l'authenticité artistique dans l'enclave souvent rigide des comics de super-héros, de la même façon que certains des projets modernes de Neal Adams, ou plus récemment, de Symbiote Spider-Man ou des romans graphiques Infinity de Jim Starlin. Une preuve que l'industrie, pourtant convertie au principe de création destructrice, n'oublie pas sa longue et grande histoire - cela étant, il est utile de rappeler que Grant Morrison, à l'image de ses cinéastes qui empruntent au style d'oeuvres venues du passé pour composer dans le présent, s'adonne ici à un exercice de style tout à fait volontaire. L'auteur va même chercher d'autres inspirations par ci par là dans des formes d'art plus variées (la préface livrée par Urban, récupérée dans le DC Nation #4, donne quelques unes des références bibliographiques qui auront servi de matière à l'élaboration de ce bouquin).
 

 
Le volume s'ouvre sur quelques petites aventures de police spatiale : Hal Jordan reprend la route des étoiles, retrouve l'insigne et l'arme de service (en l'occurrence, le masque et l'anneau de volonté) dans une perspective de série sur le quotidien de flics au carrefour de différentes civilisations extra-terrestres. Au moment de présenter son projet, Morrison avait effectivement vendu cette idée de grand feuilleton policier, et les premiers numéros tiennent bien cette promesse : gangs, braquages, vols, opérations clandestines, les Green Lantern se confrontent à une série d'exactions assez terre-à-terre transposées dans un contexte farfelu. Les idées ne manquent pas pour décaler cette normalité dans la bizarrerie de l'espace. 
 
Chaque Lantern est un concept à part entière. Certains ont des têtes de volcans en perpétuelle éruption, d'autres sont d'immenses intelligences artificielles sphériques, d'autres encore sont des virus microscopiques et infectieux. Le dialogue et le rapport au langage prend une petite place dans cette entrée en matière, avec des gimmicks vocaux ou des jeux de traductions difficiles qui appliquent au texte la variété des peuplades et des étrangetés déployées. Dans l'ensemble, cependant, il n'est pas question de bouleverser quoi que ce soit : de la même façon que Judge Dredd arrêtait des robots libertaires au lieu d'arrêter des activistes des droits civiques, Jordan coffre des trafiquants de planètes et interroge des criminels responsables de la mort de races entières comme il interrogerait un caïd de la pègre. Le flic casqué de 2000AD est une des inspirations les plus évidentes du caractère prêté au personnage principal dans cette première aventure : droit dans ses bottes, efficace, avec du répondant dans son rapport aux truands, Hal Jordan emprunte à l'économie dialogique de Dredd tout en calquant ses mécaniques d'écriture sur ces vieilles séries britanniques, folles, rythmées, et souvent, exponentielles dans leur capacité à aller vers des idées de plus en plus invraisemblables.
 
 
 
Certains traits de sa personnalité évoquent aussi les justiciers à colts d'une école d'écriture plus proche des Etats-Unis - celle du cinéma ou des revues des années soixante ou soixante-dix, avec cette image du flic pugnace, avec un objectif bien défini, parfois blagueur, toujours honnête et incorruptible. Une idée du héros typiquement américain à la Steve McQueen, Roy Scheider ou Paul Newman, avec une emphase sur la difficulté du métier et les bavures éventuelles, la part sombre de la loi et le difficile rôle de l'infiltré dans les milieux criminels. A noter que Grant Morrison a toujours dit ne pas apprécier le caractère propret de Jordan, vétéran de l'armée, policier sans failles et sans imagination au vu de ses pouvoirs démesurés. Sa version du Green Lantern traduit cette défiance : l'auteur s'intéresse davantage à ce qu'il peut faire de l'univers environnant, avec lequel il va jouer, sans forcément développer la personnalité du héros. Certaines prises de parti se retrouveront, par exemple, expliquées ou justifiées dans un certain contexte et, à la fin de l'aventure, Hal Jordan sera toujours Hal Jordan.
 
Le vernis de cette façade policière se confronte ensuite à l'envie d'aller beaucoup plus loin. Dès le premier arc, Grant Morrison pose par exemple une réflexion corrosive sur le problème écologique, et notamment, le fait de perpétuellement repousser le problème et de laisser les générations suivantes payer pour les erreurs des aînés. Ce segment se manifeste par un duel idéologique entre un policier spatial et une alien bouffeur de planète (plus proche d'un Xénomorphe que de Galactus) qui prend l'apparence du Dieu chrétien traditionnel. La folie et le bordel mythologique, très habituel dans le style de Grant Morrison pendant sa période Doom Patrol, commence peu à peu à envahir les numéros suivants. L'auteur retrouve un peu de sa verve et de sa grande gueule, longtemps laissée au placard pendant ses années chez DC Comics, moins absurdes, moins barrées, quoi que toujours inventives et bien tenues. De références au western à des peuples de fourmis savantes, de vampires du cosmos empruntés à d'autres pans de la chronologie DC, mangeurs de soleil, dictateur cosmique monomaniaque, un foutoir que le scénariste, par différents jeux de dialogues ou de répliques quasi-méta', nous invite à prendre au second degré. 
 

 
L'écriture d'ensemble, accolée aux dessins, évoque beaucoup ce qui se faisait en matière de comics pendant la transition du Silver Age vers le Bronze Age. Des personnages qui s'écoutent parler, une rigidité dans les dialogues (qui risque de rebuter pas mal de lecteurs modernes, habitués à des échanges plus fluides), et un Liam Sharp qui trouve peu à peu le ton juste en imitant des techniques de mise en scène venues d'un autre temps. Un archéologue de l'histoire de DC Comics trouverait sans doute beaucoup de choses à analyser dans les références convoquées, et, de la même façon que pendant son volume sur Batman, on sent que le scénariste en poste a été chercher à différents moments de l'histoire de Green Lantern les matériaux de son histoire, bavarde, foutraque, chaotique, mais étrangement vivante et dense derrière les effets de manche. Certains numéros jouent sur le gimmick, d'autres sur la blague, d'autres sont plus sérieux et traduisent une envie de reprendre une idée ou une iconographie précise - en résumé, Morrison s'amuse, sans forcément chercher à prouver quoi que ce soit, avec cette grande feuille blanche constellée d'anneaux verts. Il est toutefois important de signaler que l'ensemble a quelque chose de vraiment déroutant, pour celui ou celle qui n'aurait pas connaissance des habitudes du bonhomme et s'attendrait à un récit "classique" pour prendre la suite de Green Lanterns ou des volumes précédents.
 
A ce sujet, paradoxalement, Morrison ne s'adonne pas à une simple démonstration d'égo. The Green Lantern est bien en continuité avec le reste de l'univers DC, on y trouve des mentions du Dr Manhattan et de Jessica Cruz. L'idée est toutefois de proposer un volume auto-contenu, qui se lit d'un seul tenant, avec des règles propres et une tonalité à part. L'auteur décrit une trajectoire de héros traditionnel, en ajoutant, à chaque virage, un élément de décalage, d'hommage ou de parodie, comme un enfant qui s'amuserait à inventer un mythe très structuré et cohérent avec des jouets qui ne se répondent pas d'habitude, ou ailleurs que dans son imagination. 
 
 
 
La forme en devient (volontairement) plus obscure, attendu qu'elle se repose justement sur des codes plus anciens et des routines qui auraient de quoi déstabiliser ou perdre en cohérence aujourd'hui. Certains lecteurs pourraient choisir de croire que le scénariste, âgé, ne serait plus capable d'écrire des histoires modernes avec les techniques du présent (comme cela a pu être le cas pour d'autres légendes vieillissantes). Mais, en comparant ce travail avec la saga de Klaus, par exemple, on remarque que Morrison est en fait parfaitement capable de proposer des récits structurés et contemporains - sa façon d'aborder Jordan et sa mythologie est donc bien un choix tout à fait conscient. 
 
La série The Green Lantern toute entière se situe dans une suspension de l'espace et du temps, comme si Hal Jordan avait sauté par dessus les évolutions de la BD pour faire un amalgame très général. L'aspect de policier de l'espace des années '60, la fascination pour les monstres classiques et les métissages psychédéliques des années '70, l'ajout de thématiques sociales des années '80, la remise en question des figures de héros et la violence des années '90, et, quoi que Morrison en soit aussi l'un des inventeurs, la méta-fiction rétroactive des années 2000. Au-delà des comics, on s'amuserait à retrouver des inspirations plus variées sur les vieux feuilletons spatiaux ou une compréhension plus large de la représentation de l'espace en fiction (les vampires galactiques, un vieux poncif du cinéma d'horreur, par exemple). Au final, un tout plutôt cohérent et énergique qui réussit à ne pas se complaire dans l'hommage au détriment de l'histoire, et à agrémenter à la matière super-héros d'autres visions, plus libres, sans se soucier du canon ou de la cohérence de marque. Le scénariste invente encore, et invente beaucoup - ce premier tome n'étant que la partie visible d'un plus grand iceberg de dingueries variées. 
 

 
Du côté du dessin, Liam Sharp abandonne peu à peu ses propres techniques habituelles au service de l'histoire. L'évolution se fait ressentir, dès l'arc sur les esclavagistes, où les compositions ressemblent davantage aux histoires du Bronze Age, au style de Neal Adams sur Green Lantern/Green Arrow. Les découpages maintiennent tout de même un certain goût pour la symétrie et les formes bien ordonnées tout au long du livre, mais, peu à peu, se développe une façon de présenter les visages, de séparer les cases avec différents effets, ou de présenter les personnages dans l'espace à la Brian Bolland (dans un mélange d'imageries à la Camelot 3000), des méthodes qui s'accordent bien avec l'inspiration 2000AD des numéros ou à l'envie générale de rendre hommage à l'ancien. Peu à peu, scénariste et dessinateur trouvent leur tempo à deux pour des planches de plus en plus généreuses, et, là-encore, le choix sera laissé à chacun sur la valeur ou la réussite de ce grand écart entre différentes époques. Les derniers numéros intégrés dans le volume poussent l'effet encore un peu loin, et l'on jurerait parfois que ce comics n'a pas été édité au XXIème siècle au vu de sa parure générale.
 
Dans l'ensemble, Hal Jordan : Green Lantern est une véritable réussite. L'ouvrage ne se place pas dans une continuité précise, devenant ainsi perméable aux nouveaux entrants, tout en optant pour le clin d'oeil permanent à l'histoire des comics et à ce qui aura marché par le passé. A bien des égards, le procédé d'écriture ressemble à ce que Grant Morrison avait proposé sur Batman, avec cette révérence perpétuelle à la continuité du héros, comme si ce-dernier avait attendu des décennies avant de regarder vers l'arrière. Cependant, là où l'auteur proposait tout de même un ensemble narratif plus académique sur le Chevalier Noir, l'opportunité de travailler sur le Green Lantern, un terrain de jeu plus vaste et plus bariolé, l'incite davantage à s'amuser. A composer, avec des bouts de cultures empruntés à d'autres disciplines, avec des morceaux d'imaginaires étranges et avec une vision passéiste du personnage, un nouvel univers qui ne se prendrait pas autant au sérieux que certains autres volumes. L'ensemble en ressort plus frais, plus passionnant, plus expérimental, et donc, plus difficile à cerner pour celui qui n'aurait pas envie de faire cet effort. On saluera l'existence de ce type de projets chez DC Comics, pour combler un creux de psychédélique et de nostalgie artistique pendant que d'autres s'amusent encore à réinventer la roue.

Corentin
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