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Scandale Batman : Damned et défis du creator owned : Brian Azzarello fait le point avec nous

Scandale Batman : Damned et défis du creator owned : Brian Azzarello fait le point avec nous

InterviewDc Comics

Invité par Urban Comics à la dernière édition de Comic Con Paris, notamment pour y présenter Batman : Damned, l'auteur Brian Azzarello nous a accordé un peu de son temps afin de revenir sur cette parution qui aura beaucoup fait causer lors de sa sortie de l'autre côté de l'Atlantique (pas forcément pour de bonnes raisons), et sur l'état du creator owned actuellement. Une discussion à coeur ouvert pour aborder aussi la façon de fonctionner du DC Comics actuel, dont a pu observer les ajustements éditoriaux cette dernière année.

Remerciements : Urban Comics


Bonjour Brian ; ça fait dix-sept ans que tu travailles régulièrement avec Lee Bermejo, comment définirais-tu votre relation ?

C'est quelque chose qui est vraiment très important à titre personnel. J'aime travailler avec des gens avec qui j'entretiens aussi des relations en dehors du travail. En ce qui concerne les comics, on a une vision commune avec Lee Bermejo : on a le même ressenti sur ces personnages, ce qu'on peut en faire, où on peut les emmener, ce qu'on peut dire sur le monde avec eux. On travaille ensemble, puis on va faire quelques projets de notre côté - comme Lee Bermejo a fait avec Suiciders ou Batman : Noël- et on finit toujours par se retrouver. Et même quand on ne travaille pas ensemble, on passe beaucoup de temps à discuter... heureusement qu'il y a Whatsapp (rires) ! Parce qu'à l'époque, par exemple quand j'ai commencé à travailler avec Eduardo Risso, c'était le fax qu'on devait utiliser !

On te connaît beaucoup pour tout ce que tu as pu faire chez Vertigo (Spaceman, 100 Bullets, Hellblazer) mais Vertigo n'existe aujourd'hui plus. Qu'est-ce que tu as pensé de la fermeture de l'imprint ?

Est-ce que je me suis senti mal ? Non. Pas du tout. Il était temps. Et c'était peut-être déjà tard. Il y a eu un moment où Vertigo ne faisait que des ventes très faibles, et c'était donc quelque chose que tu pouvais prévoir. Il n'y avait pas de soutien de la part du lectorat ou des comic shops. Il y en a qui blâment DC Comics d'avoir fermé Vertigo, mais ce n'est pas ce qu'il faut faire : si les gens avaient acheté les titres, ils n'auraient pas fermé. Si j'avais sorti Moonshine chez Vertigo, ça se serait bien moins vendu que ce que ça a fait chez Image Comics. Juste parce que c'était chez Vertigo, et que les vendeurs ne commandent qu'un petit nombre d'exemplaires quand ça vient de là-bas, par automatisme.

Chez Image Comics, ou ce qui va devenir le prochain "creator owned" de DC Comics [le Black Label, nda], le revendeur doit faire un pari sur l'équipe créative. Il ne se dit pas "oh, c'est un nouveau titre Vertigo", mais "oh, c'est le nouveau projet de Brian Azzarello". "Il a pas mal vendu avec son Batman, je vais en prendre vingt numéros. Ou bien : "ha non, c'est Azzarello, je j'en commanderai même pas un !" (rires)


Tu penses que ça a eu un lien avec les départs successifs de Karen Berger puis Shelly Bond ?

Je ne le pense pas. On pouvait déjà voir cette tendance. La marque Vertigo n'était plus assez forte, et les auteurs allaient plutôt chez Image Comics. C'est ce que j'ai fait aussi. Même si ça n' a pas changé grand chose, puisque chez Image je travaille avec Will Denis, qui était mon éditeur chez Vertigo. Il s'occupe de Moonshine. Je fais aussi Faithless chez Boom! Studios. C'est un projet que j'ai amené directement chez eux. J'avais envie de travailler avec Sierra Hahn [l'éditrice chez Boom!, nda] depuis un long moment, et l'opportunité s'est présentée. Elle était présente dès le moment où l'idée initiale m'est arrivée.

Penses-tu que ce soit plus difficile de faire du creator owned aujourd'hui ?

C'est peut-être plus difficile d'en vivre, de se faire assez d'argent avec. Il y a beaucoup de comics en indé'. Je pense qu'Image Comics en publie trop. Pour chaque Southern Bastards, il y a deux dizaines de titres dont personne ne connaît l'existence. C'est le souci, du moins aux Etats-Unis, c'est qu'il y a trop de sorties. Et tous ces comicbooks ne sont pas forcément bons. Il y a une forte compétition pour avoir de la place sur les étals, puisque les shops ne peuvent pas s'agrandir indéfiniment. 

Pourtant s'il y a plus de titres, ça veut dire qu'il y a plus d'auteurs et d'artistes qui ont un travail. Tu fais partie de cette compétition, j'imagine que tu ne souhaites pas que les autres se retrouvent sans emploi...

C'est du travail, mais si ça ne leur rapporte pas d'argent, qu'est-ce que ça devient ? Il y a beaucoup de titres qui ne se vendent simplement pas. Bien sûr que je ne veux enlever à personne la possibilité de faire ce qu'ils ont envie de faire. Je crois qu'aujourd'hui, il y a bien plus d'opportunités pour que ton bouquin soit publié qu'il n'y en avait auparavant. Les gens font aussi des Kickstarters, par exemple. Et il y a peut-être une fatigue du super-héros ? Je ne sais pas si les gens sont encore intéressés par ce que propose DC Comics et Marvel... D'un autre côté, quelqu'un comme Jeff Lemire débarque avec son micro-univers Black Hammer, et tout le monde s'y intéresse. C'est curieux. D'ailleurs, je me demande si Jeff trouve du temps pour dormir... Sûrement pas ! (rires)


Est-ce que tu as envisagé Batman : Damned comme une sorte de Batman en creator owned ?

Non. Le bouquin a commencé à germer quand on m'a demandé de faire partie d'un event. C'était un event qui devait s'étaler sur deux ans, et je devais m'en occuper sur une période de six mois. Grosso modo, c'était une histoire entre Batman et la Justice League Dark. Le souci, c'est que la forme que ça prenait ne plaisait ni à DC Comics ni à moi même. C'est comme essayer de placer un cube dans un trou cylindrique : ça ne fonctionne pas et ça en devenait frustrant. 

L'idée d'une Justice League Dark ne peut pas fonctionner pour moi. John Constantine ne peut pas être le leader d'une équipe à moins qu'il ne tente de duper ses coéquipiers. Et les autres membres de l'équipe sont bien trop malins pour le suivre. Ce sont aussi des personnages qui ne vont pas bien ensemble, qui fonctionnent mieux séparément. Quand je parlais à Lee de ces problèmes, il m'a envoyé un dessin des personnages de la Justice League Dark. Il m'expliquait qu'il aimait ces personnages, sans apprécier l'idée de l'équipe. 

Puis tout le projet d'event chez DC Comics est tombé. Jim Lee m'a appelé pour me dire qu'il aimait mon idée, et c'est là qu'il m'a parlé du DC Black Label, qui était en travaux depuis très longtemps, depuis la sortie de Joker. Il m'a dit penser que ce livre adulte pourrait être le fer de lance du Black Label. J'ai donc présenté cette opportunité à Lee, et on a commencé à parler du projet : celui d'amener les personnages de la Justice League Dark dans un titre Batman, sans qu'il n'y ait d'équipe.

On voit d'autant plus que ces personnages bien connus ont ici une représentation différente par rapport à d'habitude.

L'idée est de prendre les personnages et de se demander ce qu'ils représentent, ce qu'ils ont à gagner ou à perdre en faisant ce qu'ils font. C'est ainsi qu'on a amené Deadman à être une sorte de junkie, qui est accro au fait de prendre possession du corps des autres, sans pouvoir y rester longtemps. Idem pour Etrigan : il manie les rimes, mais on va en faire une version hip-hop. C'est plus moderne. Si c'est le Diable, il va communiquer de la meilleure façon possible, et par la rime, ce sera avec de la musique.


Vous aviez une liberté créatrice depuis le départ avec Lee ?

On a eu beaucoup de libertés. Après Joker, et comme j'ai une longue relation avec DC Comics, ils ont confiance en moi. Ou du moins, ils avaient confiance en moi (rires).

Tu nous présentes un Batman qui est brisé, perdu. Pourquoi as-tu voulu l'amener aussi bas ?

Avec Lee, on cherche toujours à faire quelque chose de nouveau, qui n'a pas encore été montré. C'est pour ça qu'on a voulu montrer ce Batman. Je pense que de cette façon, le lecteur peut réellement s'identifier à lui, parce que le lecteur aussi n'a aucune idée de ce qui arrive. En général, tu ne peux pas t'identifier à Batman. C'est un personnage parfait, que tu contemples, que tu aimerais être sans que ça ne puisse arriver. Même quand c'est lui le narrateur. 

C'est pour ça que tu as choisis d'utiliser Constantine en narrateur ? Qu'aimes-tu chez lui ?

Je m'identifie à lui mieux qu'à quiconque d'autre (rires). Je ne suis pas aussi rusé ou manipulateur que lui, mais je l'admire pour ça !

Tu n'avais pas peur de trop perdre tes lecteurs dans cette histoire ? Qu'en ne sachant pas ce qu'il se passe, ils en perdent aussi l'intérêt ?

Non, pas vraiment. Je pense que même en étant perdus, ils reviennent pour savoir ce qu'il se passe ensuite. Pour découvrir pourquoi ce qui s'apparente à un cauchemar pourrait bien en être un. 

Et tu n'avais pas peur de la violence de certaines scènes ? L'affrontement entre Batman et Harley Quinn met particulièrement mal à l'aise.

C'est très bien. C'est normal, même : c'est ça la violence. A la fin de Damned #2, il se bat pour sa vie. Il est particulièrement désespéré dans cette scène. C'est Batman dans son pire état possible.


J'aimerais qu'on revienne sur le scandale Batman : Damned, même si j'imagine que tu as déjà dû en parler beaucoup. C'était intentionnel de montrer un Bruce Wayne nu ? Tu avait écrit dans ton script "Bruce Wayne est nu et je veux qu'on voit ses parties" ?

Non, je n'ai pas été aussi descriptif (rires), mais j'ai bien écrit "nu" ! Lee m'avait appelé pour en parler, il m'a dit "écoute, je vais le montrer de front". Il m'a dit de ne pas m'inquiéter, de façon à ce que, s'il fallait changer, il n'y avait qu'à ombrager pour corriger la chose. Je n'avais aucun problème avec ça. On veut voir un Bruce Wayne le plus vulnérable possible, qui se fait attaquer par son costume. J'ai eu confiance en Lee pour le montrer de la façon la plus artistique qui soit. La page a été dessinée, et tout le monde était au courant de son existence.

Tout le monde ?

Tout. Le. Monde.

Même Pam Lifford ? [La nouvelle présidente de DC Comics, nda]

Elle est entrée en fonction le jour de parution du numéro (rires).

Et tu penses que les choses se seraient passées différemment si elle avait été là avant ?

Oh, que oui. 

Parce que vu d'ici ça ressemblait vraiment à un simple problème d'image publique du personnage.

Oui. A côté, beaucoup ont rétorqué qu'on a vu le sexe de Dr. Manhattan pendant des années. Mais Dr Manhattan, ce n'est pas Batman (rires). Écoute, DC peut faire ce qu'ils veulent de leurs personnages, ce sont des propriétés. Quand on me dit que Batman : Damned a été censuré, ça me froisse un peu, parce que ce n'est pas de la censure. Le gouvernement ne nous est pas tombé dessus pour interdire le bouquin. DC a choisi de ne pas publier quelque chose qu'ils avaient soutenu, parce qu'ils ont eu peur. C'est ce qui est arrivé. Et c'est malheureux.

Quelle a été ta réaction initiale ? 

J'étais énervé, comment veux-tu qu'il en soit autrement ? Tout le monde savait ce qu'il y avait de dessiné sur cette planche, et certains ont nié le savoir. Ils avaient imprimé des planches à destination des comicshops des mois à l'avance, qui n'étaient pas lettrées. Pour montrer le format du comicbook. Et il y avait le bat-zizi dans ces planches : tout le monde savait qu'il y était. Et puis ils nous ont jeté sous le bus avec Lee quand c'est sorti.

Il y a eu d'autres changements par la suite, tu peux nous en dire un peu plus ?

Ha, je ne préfère pas. Au final, ce qui est ici [il touche l'exemplaire de Batman : Damned], c'est notre produit final. C'est notre histoire. Est-ce qu'elle est complètement différente parce qu'on a retiré le sexe de Bruce Wayne et fait quelques changements ? Non, pas du tout. Oui, il y a des scènes qui sont moins graphiques qu'avant. Mais il n'y pas eu de différence sur la conclusion du récit. Quelques planches du numéro #2 ont été refaites, mais rien qui ne concerne le dernier numéro.


Qu'est-ce que tu penses de la façon dont le Black Label nous a été présenté ? On avait cette idée d'un label "carte blanche" pour les créateurs impliqués...

Je ne sais vraiment pas si ça va devenir ce que c'était censé être, mais du moment qu'il y a de bonnes histoires qui sont publiées, ça me va. Je suis pragmatique. Quand le projet s'est lancé, je leur ai demandé jusqu'où je pouvais aller. On m'a dit "tu sais où la ligne se trouve". Je leur ai demandé "je peux faire comme dans une série HBO ?" et ils m'ont répondu "oui, exactement, comme une série HBO !". Mais visiblement on avait pas le même type de série en tête (rires).

Que peux-tu nous dire sur ton prochain projet Birds of Prey, qui a aussi connu des bouleversements de publication, passant d'une série, à une mini-série puis à un one-shot pour le Black Label. Pourquoi y a-t-il eu ces changements ?

Pourquoi ? Parce que DC Comics a eu peur. Il y a un film qui va arriver, et qui sera Rated R. L'un des boss m'a demandé de faire un titre aussi proche du R que possible, mais inscrit dans la continuité de DC. Quand j'ai rendu mon script, il m'a dit que c'était trop proche du R, alors que c'était ce qu'il m'avait demandé. Il a donc été décidé de le mettre en Black Label. En revanche ça n'a jamais été prévu comme une mini-série. A la base, je devais m'occuper du lancement d'une nouvelle série Birds of Prey pour les 5-6 premiers numéros. Mais du moment où c'est passé en Black Label, c'était pour en faire un one-shot. Et je suis content d'être en Black Label : de cette façon, tout ce qu'on m'a dit que je ne pouvais faire dans le DCU, je peux maintenant le faire (rires). Ce sera un titre adulte sur les Birds of Prey, et vous apprendrez quelque chose sur Joker et Harley Quinn d'inédit... 

Très bien, merci beaucoup !

Arno Kikoo
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