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Black Hammer : Cthu-Louise #1 - Lovecraft et malaise de l'enfance par Emi Lenox

Black Hammer : Cthu-Louise #1 - Lovecraft et malaise de l'enfance par Emi Lenox

ReviewDark Horse
On a aimé• Le décalage d'un dessin mignon et d'un propos morose
• Jeff Lemire et le rapport à l'enfance
• Cthu-Louise est trop choupi
• L'esprit absurde de Black Hammer
On a moins aimé• Un numéro un peu léger
Notre note

L'arborescence de Black Hammer ne cesse de bourgeonner, vers des concepts aux formes nouvelles, de plus en plus variées. Jeff Lemire ne pense désormais plus la consistance de son petit monde comme d'un tout cohérent où tout devrait avoir une utilité sur l'intrigue de fond, mais comme sa propre enclave éditoriale où il peut parler de ce qui l'intéresse. Raconter les histoires qui lui plaisent sans chercher de lien direct avec le tronc Black Hammer central, et travailler avec les artistes dont il aime le travail.

Black Hammer : Cthu-Louise #1 est de ce registre. Plus proche du caprice d'un auteur qui cherchait une belle excuse pour retravailler avec Emi Lenox sans s'embarquer sur une série de longue haleine, le numéro n'a pas de place immédiate dans le grand plan éditorial de Lemire. Il raconte une petite histoire, aux petits enjeux, un exercice de style réussi dont l'idée est d'associer le Lovecraftien au mignon. La douceur d'un trait adorable à une histoire mélancolique et brutale, un petit fantasme qui évoque les oeuvres passées du scénariste.
 
 
 
Les plus évidentes étant bien entendu Sweet Tooth et Descender. Deux travaux qui signaient, définitivement, le rapport conflictuel de Jeff Lemire à l'enfance. Loin de présenter cette période de la vie sous un angle candide ou dans le moelleux d'un support parental aimant, l'auteur injecte systématiquement dans l'éducation une saveur douce-amère (étrange terme), voire très angoissée. C'est à nouveau le cas chez Cthu-Louise, une jeune héroïne à la Carrie balancée entre un père alcoolique, une mère caractérielle et un quotidien de harcèlement sur les bancs de l'école.
 
Avec l'humour absurde qui caractérise le monde de Black Hammer, Lemire présente la naissance de ce petit personnage. Après que l'émissaire d'un grand ancien, aux propensions tentaculaires classiques de l'imaginaire de Lovecraft, s'est emparé de l'esprit d'un plombier nommé Lou, ce-dernier s'est retrouvé affublé d'une tête à la Cthulhu. Il sera alors devenu un super-vilain, avant de prendre sa retraite, de trouver une femme et de faire un enfant. Celle-ci a le physique de cet héritage antéchristique, verte, avec des tentacules qu'elle attache façon couettes. Cthu-Louise est une jeune fille adorable, mais persécutée, jusqu'au jour où l'envie d'une vie meilleure finira par la rattraper.
 

 
Les intentions sont assez claires dans ce numéro, relativement léger en terme d'épaisseur. Mélanger le trait enfantin et doux d'Emi Lenox à des scènes violentes sur le plan psychique et physique - une jeune fille battue par son poivrot de père, harcelée, en quête d'identité. Le résultat est parfois déstabilisant, lorsque le lecteur se surprend à avoir envie de câliner le moindre personnage d'une BD qui aurait évoqué un ressenti franchement différent sous un autre coup de crayon. Lemire s'amuse à expérimenter en ne changeant rien de la tonalité grise de son Black Hammer, perpétuellement morose, mais le confronte à un climat enjoué dans le dessin qui brouille l'atmosphère. Vu de l'extérieur, le numéro passerait pour une BD pour enfants.
 
Comme à son habitude, le scénariste emprunte l'imaginaire d'autres oeuvres, mais l'hommage est ici plus diffus en se contentant de Lovecraft et Stephen King. Une sorte d'ensemble à mi-chemin entre l'absurde des cornes de Gus et de la pudeur scolaire des gosses de Plutona. Jeff Lemire n'aura probablement jamais réussi à régler son rapport à l'enfance, qui se manifeste (à nouveau) par une envie d'évasion. De trouver un monde plus simple, où ce sentiment d'être différent, incompris, ou de chercher à fuir une famille dysfonctionnelle, finirait par s'évaporer. 
 
Le numéro manque cependant de place pour développer cette idée, et en choisissant une narration très simple qui va justement coller aux codes d'une BD pour les plus petits, économise ses dialogues et son exposition pour aller à l'essentiel - c'est donc réellement le talent d'Emi Lenox qui emporte l'adhésion, dans des planches superbes où la petite Cthu-Louise est beaucoup trop mignonne pour ce qu'elle aura à endurer. L'exercice de style fonctionne, et on apprécie que Lemire ne propose pas que des mini-séries dédiées, mais profite aussi d'avoir cette feuille vierge qu'est devenu le monde de Black Hammer pour ces petits bonus agréables, faciles d'accès et dans la continuité de son oeuvre. Même si le besoin d'une suite à Plutona ou d'une autre collaboration avec Lenox n'apparaît que plus grand.
 

 
En résumé, un numéro dans le suivi général du monde de Black Hammer, occupé à étudier la famille sous les angles les plus improbables d'un imaginaire de fiction. Recomposée et peuplée dans la série principale, plus proche du rapport père/fils dans certains spin-offs ou de la thématique de l'héritage dans Quantum Age, cette question semble être le point central de l'écriture de Black Hammer en tant qu'univers - associé, bien sur, à l'isolation de ses personnages et à l'hommage perpétuel au monde de la BD. Une jolie lecture, qui met une fois de plus en lumière le talent d'Emi Lenox.
Corentin
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