Home Brèves News Reviews Previews Dossiers Podcasts Interviews WebTV chroniques
ConnexionInscription
De 300 à Xerxès : vingt ans depuis le Loup et l'Hiver glacial

De 300 à Xerxès : vingt ans depuis le Loup et l'Hiver glacial

DossierDark Horse

A l'ombre de travaux mis dans la lumière par le poids que représentent les super-héros auprès du public d'hier et d'aujourd'hui, Frank Miller aura livré quelques oeuvres plus créatives. Peut-être plus iconoclastes, ou juste celles qui lui tenaient le plus à coeur. On en retrouve quelques unes chez Dark Horse, maison mère de Sin City et de l'autre chef d'oeuvre tardif de Miller, 300

Acclamé par la critique, l'oeuvre aura longtemps hésité à offrir sa suite ou sa préquelle - on ne sait plus trop. Au départ commandé par un impératif de marketing croisé, 300 "2" a fini par voir le jour cette semaine dans les kiosques.
 
Une petite occasion de revenir sur cette oeuvre, à la fois très en vue du fait de son adaptation culte et d'une réplique en trois mots scandé par un Gerard Butler plus musculeux que jamais, et assez sous-estimée dans la biblio' de l'auteur. Un classique dans un format horizontal, qui se poursuit - enfin - aujourd'hui, ramenant sur la table la question du devenir de Miller lui-même.
1. Quel est votre métier ?
Chapitre 1

Quel est votre métier ?

Enfant, Frank Miller découvre le film Les 300 Spartiates, une fresque épique de 1962 lancée à la grande époque des peplums. L'auteur y fait la rencontre, romancée, des guerriers de Sparte, descendants légendaires d'Héraclès selon l'une des versions de leur histoire. Les années passeront vite pour le jeune homme, qui découvre les comics jeune et se passionne pour un autre genre de héros. Encore que, comme aiment à le rappeler les analystes littéraires, les costumés sont eux-mêmes les héritiers des personnages grecs, de leur force supérieure à leur bravoure sans failles.

Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, les comics ont énormément changé. Alan Moore et Frank Miller, entre autres contemporains de l'école post-Bronze Age, ont ouvert la voie à de nouveaux entrants. Des lecteurs moins passionnés par les rebondissements usuels des comics de super-héros, qui trouvent dans l'oeuvre de ces auteurs plus exigeants des récits plus variés, plus riches, plus sombres. 

DC Comics ne sait alors où ranger cette nouvelle école d'écriture et leur lectorat, passionné. Se crée des initiatives comme le format graphic novel, l'ouverture aux librairies, et à terme, un projet de classification des BD destinées à un public mature. L'apposition du sigle suggested for mature readers, qui accouchera ensuite de la création de Vertigo, sera vécu comme une véritable censure par Moore ou Miller. Chacun claque la porte, et Miller décide de poser ses valises et sa table à dessin chez Dark Horse pour le restant de la décennie.

Nous combattrons à l'ombre


 
Dans les années '90, l'artiste perd son trait athlétique, ses habitudes de ligne claire. Miller expérimente. La plus inventive de ses créations sera Sin City, ses aplats de noir et blanc suggérant les formes, les contours et un dessin de nuances et d'atmosphère brillant. Plus encore que le dynamisme des postures de Daredevil avec Klaus Janson, ce style deviendra indissociable de Frank Miller, et le suivra jusqu'à sa période récente, comme une sorte de seconde étape dans sa vie d'artiste.
 
En 1995, dans le troisième volume de Sin City, The Big Fat Kill, l'auteur retrouve son anecdote grecque de coeur. Une planche référence la Bataille des Thermopyles et la stratégie du roi Leonidas dans l'aventure de Dwight McCarthy et des filles de la vieille ville. L'annonce d'une série qui verra le jour trois années plus tard, dans un format à l'italienne où Miller s'accompagne de son ex femme Lynn Varley : 300.
 
Paradoxalement, 300 est loin d'être l'oeuvre que retiennent en priorité les fans de l'auteur. On lui préférera Batman : Year One, The Dark Knight Returns, Sin City évidemment ou son travail impeccable sur l'Homme sans Peur. Et pourtant, à sa sortie, ce roman graphique publié dans un superbe format à l'italienne empoche trois Eisner Awards : meilleure série limitée, meilleur auteur/dessinateur et meilleure coloriste. Un triplé qui s'accompagne de très bonnes ventes, et constitue méthodologiquement le dernier chef d'oeuvre du vieux Miller, qui assassinera sa propre légende plus tard avec Holy Terror.
 

 
300 reprend l'esthétisme ombrageux de Sin City : des personnages faits de contours, de postures. D'un ensemble qui cherche un esprit de fresque ample, à peine séquentielle. Comme les péplums de son enfance, Miller utilise le format à l'italienne comme un cinemascope de papier, un format panoramique superbe pour l'installation des scènes, le dynamisme général, un sentiment de mouvement et de tableau. La cohérence posée avec Varley est parfaite pour gommer les paresses d'un artiste qui commence déjà à se simplifier - grandement.
 
Puisque, s'il a été évoqué plus haut un genre de "seconde étape" dans sa longue carrière, le trait de Miller n'est plus aujourd'hui ce qu'il aura été. Rattrapé par le temps, la maladie et une perte d'habitude à manier ses crayons, son style d'aujourd'hui est infiniment plus simpliste et grossier, comme une sorte de parodie de ce qu'il faisait à l'époque. Comparativement, le volume de 300 est une réussite esthétique d'ampleur, à classer comme le dernier chef d'oeuvre un auteur qui rentrera ensuite dans une sombre période.
Chapitre suivant >Historiquement mythique
2. Historiquement mythique
Chapitre 2

Historiquement mythique

300 retrace un épisode (furtif) des invasions perses : la Bataille des Thermopyles, avec de grands pans fictionnels en surplus. Le Dieu-Roi Xerxès, étouffé par un ego sans failles, laisse ses armées parcourir les frontières de l'orient jusqu'à avoir assemblé le plus vaste empire du monde. Une seule destination vers laquelle se tourner désormais : l'occident, la Grèce, seconde grande civilisation de l'époque tandis que Rome vient à peine de proclamer son statut de République. 

Dans la version réécrite par Frank Miller, les Spartiates ne sont que 300. La bataille ne dure que trois jours, ils n'ont à leur côté qu'une poignée d'Arcadiens, doivent leur défaite au bossu Ephyaltes, et, bien sûr, ne battent pas en retraite. Une partie de tout cela est vraie, une partie est inventée, ou déformée par le poids du temps qui aura gommé certains faits. 

Si Leonidas a bien tenu l'arrière-garde des Thermopyles avec trois-cent soldats, acceptant de mourir sur le champ de bataille, l'armée envoyée pour tenir le dédale était plus nombreuse, et loin d'être une initiative isolée. Si le Spartiate moque "l'amour des garçons" du peuple athénien dans le comics, c'est bien en association avec le général Themistocles que la bataille contre Xerxès s'est tenue. L'une aux portes chaudes, sur terre, l'autre sur la mer, et les Athéniens sans Spartiates conteront une légende moins mémorable.

Nous avons échangé nos cultures toute la matinée

 
 
Si de nombreux lecteurs voient aujourd'hui dans 300 le discours que tiendra Miller sur la hiérarchie des cultures et l'axe du mal prôné par Bush, on ne lui reproche à sa sortie que les inexactitudes du texte. En particulier sur l'homophobie supposée de Leonidas, l'auteur admettra ensuite que son personnage était hypocrite, les Spartiates étant eux-mêmes favorables aux relations hommes/garçons.
 
Il est bon de rappeler que l'islamophobie de Miller, quoi que lui-même ait toujours joué sur une certaine ambivalence politique, sera principalement liée au 11 septembre. C'est à l'époque qu'il dicte ses idées sur l'Orient et concocte Holy Terror, après un jeu plus complexe sur le double langage du progressisme et du conservatisme dans ses oeuvres d'avant. Si chacun peut voir dans 300 une critique du monde arabe esclavagiste et décadent, lui préfère le vendre comme sa petite Iliade personnelle.
 
A partir de l'histoire officielle Miller tisse un véritable mythe antique, le récit d'une bataille amplifiée par l'idée de l'histoire dans l'histoire. On retrouve un véritable univers, depuis l'apparat de Xerxès à ses légions d'immortels, quoi que tout ne soit pas aussi amplifié que ce que la version filmée montrera en définitive.
 

 
Puisque, dans la foulée du succès relatif de Sin City et du début d'une relance de la mode des adaptations de comics, est confiée à Zack Snyder l'adaptation du récit. Il en fera une oeuvre en case par case, transposée sur ses filtres à l'époque révolutionnaires, ses ralentis, et un ensemble d'effets de styles qui dynamiteront l'iconographie traditionnelle du peplum. Le film popularisera cette esthétique qui naviguera vers les séries Spartacus ou une série de petits plagiats, comme Les Immortels, où officiait pour l'anecdote un jeune Henry Cavill
 
A sa façon, 300 comme Sin City ou Watchmen plus tard fera partie des adaptations à avoir mis sur la table l'intérêt de la mixité artistique des BD et du cinéma. A plus forte raison à l'époque du développement des tournages en numérique (encore rares), le film sera vu comme la réponse des fonds vers au cinéma d'action traditionnel avec tout le potentiel assorti.

Et maintenant, sur ce rocher déchiqueté


  
Legendary Pictures ne tarde pas à annoncer la suite de 300. Un comics est vanté comme base de ce travail conjoint - comme Kick Ass, censé être développé en parallèle du film. Le roman graphique Xerxès place même quelques pages de previews décevantes dans l'anthologie Dark Horse à l'époque, mais ne voit pas le jour avant la sortie du film. Et cependant, on sent à l'ouverture de Xerxes : The Fall of the House Darius and the Rise of Alexander que les idées du métrage calamiteux 300 : Rise of an Empire sont bien celles de l'homme au chapeau.
 
Dix années avant la bataille des Thermopyles, se tenait la première invasion perse de la Grèce : le roi Darius I, père de Xerxès, tentait d'envahir par la mer égée la nation aux cités éparpillées. Athène lui tiendra une résistance féroce, et repoussera l'envahisseur pendant la Bataille de Marathon. Sparte est à l'époque dans l'incapacité d'entrer en guerre pour la Carneïa, une célébration annuelle de la fertilité pendant laquelle l'exercice martial est interrompu. Le hasard voudra que Xerxès reviendra mener sa propre invasion, une fois devenu roi, à la même période de l'année.
 
Themistocles, le général athénien, fera donc sa légende seul avant d'accompagner Léonidas des années plus tard, l'un au sol, l'autre sur la mer pendant la bataille historique d'Artemisium. Une sorte de soeur de la légende, puisque si Sparte sera reconnue pour sa vaillance militaire, Athènes sera couronnée de succès pour sa tactique, sa technique et sa capacité à tenir par deux fois contre les Perses.
 
 
 
Pour l'anecdote, le rôle des Athéniens est explicitement référencé dans 300, quoi que ce que dépeint les films est en réalité affreusement mensonger : les Athéniens perdent, et battent en retraite à Salamiis (oui) où ils remporteront enfin la victoire qui fera fuir Xerxès chez lui. Sans la réalisation de Zack Snyder, avec le charisme d'interprètes mal choisis, un ensemble qui ne cache pas son manque flagrant d'ambition ou de style, 300 : Rise of an Empire achève ce qui aurait pu être une jolie série de péplums, que Miller semble venger aujourd'hui. Xerxes voit enfin le jour cette semaine, avec la promesse de partir de la mort de Darius I, de la bataille de Marathon qui occupe ce premier numéro, jusqu'à la chute du Dieu-Roi des mains d'Alexandre le Grand, héros qui s'annonce plus coriace encore que le bon Leonidas.
 
Puisque nous y voilà : cela fait vingt années que l'auteur servait son dernier chef d'oeuvre, celui par lequel s'enchaîneront les All-Star Batman, Holy Terror et une carrière complexe au cinéma. Vingt ans de traversée du désert où on aura commencé à oublier l'homme au chapeau, pour mieux le redécouvrir entouré d'une génération d'auteurs portés par ses oeuvres. Avec le bras du vieux guerrier fourbu, Frank Miller a désormais à coeur de raviver sa légende, enchaînant les projets et reprenant peu à peu goût à dessiner.
 
Il y a quelques mois, Dark Horse annonçait fièrement la mini en cinq, qui sera heureusement bien loin d'être la simple transposition de ce que le second film aurait pu être, pour renouer avec une envie de vaste fresque épique. 
< Chapitre précédentQuel est votre métier ?Chapitre suivant >It has to be worth it
3. It has to be worth it
Chapitre 3

It has to be worth it

Compte tenu du track record récent, difficile d'attendre de Frank Miller qu'il réponde pertinemment à sa propre légende. Pourtant, un vent d'espoir souffle sur le premier numéro de ce Xerxes, comme une envie, une passion retrouvée. A l'image du Bruce de Dark Knight III, l'auteur est vieux, incapacité par un corps qui n'a plus l'énergie de ses vingt ans, mais la volonté d'en découdre est toujours bien présente.

On retrouve sur la plage de Marathon les guerriers d'Athènes, avec Themistocles à leur tête. Le général est ici un vieux grigou, boudeur, bagarreur, loin du côté sombre ou impérial de Leonidas. Très vite, Miller apporte un contrepoint à son récit : si cette bataille est bien la soeur de celle tenue aux Thermopyles, les Spartiates ne sont pas les héros. Décrits comme des impuissants prétentieux par les athéniens, ces héros du passé changent avec le discours de l'auteur, qui glisse en filigrane une idée sur le pourquoi de ce combat.

Il n'est pas ici question de se battre pour la gloire ou de mourir pour l'honneur : ces soldats-là pensent qu'ils ont une chance honnête de victoire. Leur motivation est la démocratie, cette idée qui n'a évidemment pas le sens qu'on lui donne à l'époque que dans notre ère moderne (encore que). De même, les Perses y sont décrits comme des soldats, simples, eux aussi. La voix du scénariste les présente comme des hommes avec des familles et des foyers à défendre.

Ce renversement là est intéressant et valide la thèse d'un Miller assagi - si ce n'est sur le plan de la violence graphique, où l'auteur se permet des exagérations à la Elektra ou Sin City, grotesques sous son trait très fatigué. 


Puisque, si le style est semblable, si on retrouve des postures, des codes, des ombres ou des contours séduisants, le dessin est généralement assez pauvre. Simpliste à l’extrême sur certaines scènes, il devient carrément grossier sur d'autres et désespérément vides, avec un soutien d'Alex Sinclair aux couleurs qui ne fonctionne qu'à moitié.

Les cases se sauvent par la rareté du format à l'italienne, ces personnages en file qui se rentrent dedans comme de jolies toiles allongées. Quelques effets sous-tendent le tout, dans les découpages et surtout les scènes de foules lorsqu'elles sont compartimentées. Derrière, Miller est pingre, ou bien juste devenu incapable d'égaler son talent de l'époque.

Puisque si 300 pourra déjà faire grogner les amoureux du style Daredevil ou Wolverine, la BD est follement généreuse. Sur les effets, les splash pages très nombreuses ou le placement des personnages, l'expérience graphique seule vaut la lecture de l'oeuvre. Ici, difficile de dire qu'on est aussi emballés - sans être forcément aussi mauvais que sur les back ups de DK3, Miller a du plomb dans l'aile, et son trait devient particulièrement criard quand ses cases prennent de l'espace.


Derrière, on pourra s'amuser de retrouver des références explicites au film - comme l'usage que Themistocles fait de son casque - et des dessins qui rappellent cette belle iconographie. L'ouverture de ce Xerxes reste une belle entrée en matière compte tenue des attentes toutes modérées que l'on peut placer sur l'auteur aujourd'hui : il prouve qu'il est encore capable d'un bon storytelling, d'un découpage travaillé et jouer le symbolisme épique à plein.

Comme sur 300, on s'attend d'ailleurs à ce que l'appareil mythique ne commence que dans la narration de long-terme - le simple titre de l'oeuvre commande de raconter les origines du Dieu-Roi, véritable attraction de l'exercice fictionnel. Problème, derrière toutes ces belles qualités, le numéro s'adresse essentiellement à cette catégorie de fans qui doit savoir quoi attendre de la légende chapeautée aujourd'hui.

Miller n'est simplement plus pertinent aux dessins en 2018 - voire encore avant. Peut-être entre les mains d'un encreur plus souple, d'une coloriste qui lui correspondait mieux, mais là où la nostalgie fonctionne à quelques endroits, on est surtout content que ce ne soit pas aussi catastrophique que ce que l'on pensait. C'est même parfois joli, mais loin de suivre les standards imposés par 300.


En résumé, si Xerxes est bien un événement de fait, le premier numéro est encore trop léger sur la symbolique de long-terme pour pouvoir tirer un constat autre que : Miller, peu à peu, revient bel et bien. Après Dark Knight III et avant son travail sur l'imprint Black Label ou le mythe Arthurien, l'auteur vient signer la vraie suite de l'un de ses meilleurs travaux, avec toute l'étendue de ses limites modernes en terme de redondance artistique et d'incapacité à égaler sa légende. Quelque part, vingt ans après, ce numéro peut cependant être vu comme une jolie madeleine de Proust pour les amoureux d'un auteur qui aura cessé de produire pendant trop longtemps - et à ce titre, être bon est le seul critère que l'on pouvait lui demander.

< Chapitre précédentHistoriquement mythique
Chapitre 1

Quel est votre métier ?

Enfant, Frank Miller découvre le film Les 300 Spartiates, une fresque épique de 1962 lancée à la grande époque des peplums. L'auteur y fait la rencontre, romancée, des guerriers de Sparte, descendants légendaires d'Héraclès selon l'une des versions de leur histoire. Les années passeront vite pour le jeune homme, qui découvre les comics jeune et se passionne pour un autre genre de héros. Encore que, comme aiment à le rappeler les analystes littéraires, les costumés sont eux-mêmes les héritiers des personnages grecs, de leur force supérieure à leur bravoure sans failles.

Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, les comics ont énormément changé. Alan Moore et Frank Miller, entre autres contemporains de l'école post-Bronze Age, ont ouvert la voie à de nouveaux entrants. Des lecteurs moins passionnés par les rebondissements usuels des comics de super-héros, qui trouvent dans l'oeuvre de ces auteurs plus exigeants des récits plus variés, plus riches, plus sombres. 

DC Comics ne sait alors où ranger cette nouvelle école d'écriture et leur lectorat, passionné. Se crée des initiatives comme le format graphic novel, l'ouverture aux librairies, et à terme, un projet de classification des BD destinées à un public mature. L'apposition du sigle suggested for mature readers, qui accouchera ensuite de la création de Vertigo, sera vécu comme une véritable censure par Moore ou Miller. Chacun claque la porte, et Miller décide de poser ses valises et sa table à dessin chez Dark Horse pour le restant de la décennie.

Nous combattrons à l'ombre


 
Dans les années '90, l'artiste perd son trait athlétique, ses habitudes de ligne claire. Miller expérimente. La plus inventive de ses créations sera Sin City, ses aplats de noir et blanc suggérant les formes, les contours et un dessin de nuances et d'atmosphère brillant. Plus encore que le dynamisme des postures de Daredevil avec Klaus Janson, ce style deviendra indissociable de Frank Miller, et le suivra jusqu'à sa période récente, comme une sorte de seconde étape dans sa vie d'artiste.
 
En 1995, dans le troisième volume de Sin City, The Big Fat Kill, l'auteur retrouve son anecdote grecque de coeur. Une planche référence la Bataille des Thermopyles et la stratégie du roi Leonidas dans l'aventure de Dwight McCarthy et des filles de la vieille ville. L'annonce d'une série qui verra le jour trois années plus tard, dans un format à l'italienne où Miller s'accompagne de son ex femme Lynn Varley : 300.
 
Paradoxalement, 300 est loin d'être l'oeuvre que retiennent en priorité les fans de l'auteur. On lui préférera Batman : Year One, The Dark Knight Returns, Sin City évidemment ou son travail impeccable sur l'Homme sans Peur. Et pourtant, à sa sortie, ce roman graphique publié dans un superbe format à l'italienne empoche trois Eisner Awards : meilleure série limitée, meilleur auteur/dessinateur et meilleure coloriste. Un triplé qui s'accompagne de très bonnes ventes, et constitue méthodologiquement le dernier chef d'oeuvre du vieux Miller, qui assassinera sa propre légende plus tard avec Holy Terror.
 

 
300 reprend l'esthétisme ombrageux de Sin City : des personnages faits de contours, de postures. D'un ensemble qui cherche un esprit de fresque ample, à peine séquentielle. Comme les péplums de son enfance, Miller utilise le format à l'italienne comme un cinemascope de papier, un format panoramique superbe pour l'installation des scènes, le dynamisme général, un sentiment de mouvement et de tableau. La cohérence posée avec Varley est parfaite pour gommer les paresses d'un artiste qui commence déjà à se simplifier - grandement.
 
Puisque, s'il a été évoqué plus haut un genre de "seconde étape" dans sa longue carrière, le trait de Miller n'est plus aujourd'hui ce qu'il aura été. Rattrapé par le temps, la maladie et une perte d'habitude à manier ses crayons, son style d'aujourd'hui est infiniment plus simpliste et grossier, comme une sorte de parodie de ce qu'il faisait à l'époque. Comparativement, le volume de 300 est une réussite esthétique d'ampleur, à classer comme le dernier chef d'oeuvre un auteur qui rentrera ensuite dans une sombre période.
Chapitre suivant >Historiquement mythique
Corentin
est sur twitter
à lire également
Commentaires (2)
Vous devez être connecté pour participer