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Brian K. Vaughan : l'entretien qui fait le tour de 20 ans de carrière

Brian K. Vaughan : l'entretien qui fait le tour de 20 ans de carrière

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Rencontrer Brian K. Vaughan n'est jamais chose aisée, même lorsque c'est la troisième fois que vous avez la chance de le croiser. Taiseux, observateur, ultra-talentueux et capable de bousculer une industrie toute entière depuis (plus de) 20 ans, le natif de Cleveland n'est pas un des auteurs les plus faciles à aborder. Non pas qu'il soit physiquement imposant ou bougon dès qu'on lui pose une question, simplement que son imagination sans limites a presque tendance à effrayer quiconque ambitionnerait de se mettre à son niveau le temps d'un échange.

Pourtant, après plusieurs péripéties dignes d'une histoire que lui-même n'aurait pas su inventer, c'est un scénariste particulièrement humain que j'ai découvert entre Angers et Le Mans, prêt à discuter de sujets aussi sensibles que variés, toujours à l'écoute de son interlocuteur. Plus tard, c'est avec une promesse que je quitte le créateur de Saga, Ex Machina, Y : The Last Man, scénariste de LOST et j'en passe : celle de le retrouver par mail quelques semaines plus tard pour un échange où nous pourrions discuter des très nombreux sujets que j'avais eu l'honneur d'aborder avec lui. Cette promesse, c'est ce que vous vous apprêtez à découvrir, et il pourrait bien s'agir du premier chapitre d'une série, puisque Brian était particulièrement pris et pressé, quelques jours avant de prendre une semaine de vacances bien méritées.

 
— Brian K. Vaughan, l'entretien 
 
 
Hello Brian ! Merci beaucoup de prendre le temps de répondre à nos questions. Cela fait 20 ans que vous écrivez professionnellement et  vous venez de fêter vos 40 ans. Sacré checkpoint, non ? 
 
Bonjour ! En vérité, j'ai reçu mon premier chèque de la part de Marvel à 19 ans, cela fait donc un tout petit peu plus de la moitié de ma vie passée à écrire des Comics en guise de revenu. Pourtant, les Comics sont toujours le même challenge aujourd'hui qu'à l'époque pour moi. Le plus gros changement que j'ai noté depuis mes débuts, c'est que je faisais beaucoup plus attention à mes lecteurs à l'époque, tandis que j'essaye maintenant de nous faire plaisir à mes collaborateurs et moi avant toute chose. 
 
Au cours de votre carrière, vous avez quitté Marvel et DC pour créer Panel Syndicate et sa folle idée de proposer des Comics à prix libre, voire même totalement gratuits. Plutôt punk et/ou politique comme façon de faire, non ? 

C'est mon collègue socialiste Marcos Martin qui mérite tout l'honneur de la création de Panel Syndicate. Il s'est aperçu que les Comics étaient devenus un luxe pour des lecteurs fortunés ou au moins simplement privilégiés, et il a eu l'idée de se servir d'Internet et de ses pratiques pour refaire des Comics une forme d'entertainment à bas-coût pour tout le monde. 
 
On parle beaucoup des changements de société en matière de travail, l'automatisation en tête. Est-ce que Panel Syndicate et cette idée de travailler "gratuitement" est la réponse que vous y apportez à travers l'art. 

J'aimerais que ça le soit, mais je sais bien qu'il est impossible pour plein d'artistes de travailler gratuitement pendant de longs mois sur des projets qui ne rapporteront peut-être jamais rien. Je ne jugerais jamais un autre artiste de préférer le confort et la sécurité de tomber des pages pour Marvel et DC, mais je suis très reconnaissant que Marcos et moi ayons le luxe de prendre ce risque.

Et concernant Image Comics, est-ce que leur politique de Creator Owned est la meilleure réponse au système européen, qui garantit beaucoup de libertés à ses artistes ? 

Je pense qu'Image Comics est si important parce qu'ils ont un rôle d'éditeur, pas de corporation multimédia. Ils n'accordent pas d'importance aux films, aux dessins animés ou aux collections de jouets à grande échelle, ils veulent simplement publier de très bons Comics, et laisser les créateurs posséder et contrôler leurs oeuvres. C'est très clairement un rêve devenu réalité pour les artistes de notre industrie.
 
Une autre chose qui m'a frappé dans votre parcours, c'est que vous travaillez presque toujours une seule fois avec les artistes qui vous accompagnent. C'est quelque chose de conscient, ou c'est juste le fruit du hasard d'une carrière ? 
 
Non non, je suspecte même les artistes d'en avoir marre de travailler avec moi en réalité ! Cliff [Chiang, avec qui il a créé Paper Girls] et moi avions déjà travaillé ensemble il y a très longtemps sur une histoire courte de Swamp Thing, et ça faisait des années que je voulais refaire quelque chose en sa compagnie. J'aimerais beaucoup travailler de nouveau avec Pia Guerra [Y : The Last Man], Steve Skroce [We Stand on Guard], Adrian Alphona [Runaways], Tony Harris [Ex Machina], Niko Henrichon [Les Seigneurs de Bagdad]… et la liste continue encore et encore.


 
Corrigez-moi si je me trompe, mais j'ai l'impression que les auteurs américains n'arrivent que rarement à parler de politique au-delà de leurs oeuvres. Les vôtres le sont particulièrement, depuis toujours, pourtant vous prenez rarement position.
 
C'est vrai que mes Comics sont particulièrement politiques, mais il semble que c'est surtout le public français qui aime chercher des significations plus profondes dans des oeuvres comme Saga par exemple. En tout cas beaucoup plus que l'audience américaine, c'est certain.
 
Vous avez travaillé pour Hollywood, et vous dites même que c'est Joss Whedon qui vous a mis le pied à l'étrier de l'écriture. Vous êtes parvenus à trouver de la liberté de travail au sein de cette industrie ? 

Travailler pour la télévision a été un honneur immense, mais je ne peux pas qu'il y a beaucoup de liberté créative dans ce monde. Sur LOST, j'étais une version au rabais d'une plume politique, aidant Damon Lindelof et Carlton Cuse à affiner leur vision plutôt qu'à imposer la mienne. Sur Under The Dome, le challenge était de rester proche du matériau original mais aussi des desideratas des producteurs qui ont payé une petite fortune pour produire la série. C'était excitant, fun et un véritable challenge, j'ai particulièrement aimé travailler avec les acteurs et les musiciens, mais ça n'a jamais été aussi créativement récompensant que d'écrire des Comics. 
 
Cela fait d'ailleurs des années que l'on parle d'adapter votre travail en série TV. Qu'est ce qui prend tant de temps [même si Y : The Last Man vient de donner signe de vie] ?
 
 C'est une machine très lente ! Preacher a mis littéralement 20 ans à se faire, et c'était la bonne solution. Je ne suis donc absolument pas pressé. 
 
Et souhaitez-vous faire partie du processus de développement de vos propres oeuvres sur écran ? 
 
Je n'y pense sincèrement pas beaucoup. Les adaptations sont quelque chose de fun, mais c'est aussi juste une sauce. Les Comics restent le plat principal. 

Retourner travailler directement pour Hollywood, sans parler de vos propres projets, c'est quelque chose qui pourrait vous intéresser pour le futur proche ? 
 
Bien sûr, en vérité j'ai un peu travaillé pour Hollywood l'année dernière, j'ai donné quelques idées à Paramount pour des shows dérivés des licences Hasbro, je suis intervenu en tant que consultant sur la série Runaways qui est en production chez Marvel et Hulu. J'espère avoir le temps et la chance d'attaquer des projets de films et de TV plus personnels l'année prochaine.
 
 Quand on s'est vus au Mans, vous m'avez dit tout le bien que vous pensez de Kevin Feige et de son modèle. Des gens comme Thomas Tull et lui font-ils vraiment des différences à vos yeux ? 

 Oui absolument, ce genre de geeks intelligents et sophistiqués ont été vitaux pour le succès des blockbusters modernes. Faire un petit film est quelque chose de très compliqué, en faire un gros est presque impossible. Je suis toujours ébahi par ceux qui arrivent à le faire correctement, surtout dans de grosses machines comme celles-ci.


 
Revenons un peu aux Comics, et à SAGA en particulier. Depuis son annonce à San Diego, la série a désormais déjà beaucoup vécu, et Hazel a bien grandi. Certes, vous parlez de la série la plus longue de votre vie, mais jusqu'à quand ? 
 
Je veux continuer à écrire SAGA tant que Fiona veut continuer à dessiner la série, et j'espère que ça va encore durer des années. Mais dès qu'elle me dira qu'elle est prête à raconter notre dernière histoire, je sais exactement de quoi celle-ci sera faite. 
 
Vous êtes aujourd'hui sur SAGA, Paper Girls et Barrier, mais vous avez déjà des idées pour le futur, non ? 

Je travaille effectivement sur un projet encore secret qui verra sûrement le jour après la fin de Barrier, mais à part ça, j'essaye surtout de me concentrer au maximum sur SAGA et Paper Girls pour le futur proche.

C'est déjà énorme ! Justement, pouvez-vous me parler de votre routine de travail ? Comment va Hamburger ? 
 
Je me lève tous les matins à 6h20 très exactement pour préparer les enfants et les amener à l'école. Ensuite je rentre chez moi, je lis mes mails, les infos et j'envoie un maximum de choses jusqu'à midi, comme écrire les sollicitations, vérifier le lettrage etc. Ensuite je rêvasse, je dessine les coutures de mes histoires et je procrastine jusqu'à ce qu'il soit l'heure de tomber un maximum de pages jusqu'au dîner en famille. Après que les enfants soient couchés, j'essaye en général d'en faire un peu plus, c'est une inspiration différente. Pas d'écriture le samedi, et double écriture le dimanche. Et Hamburger K. Vaughan va très bien, merci ! 
 
On a découvert dans The Private Eye que vous avez un point de vue très précis sur la question de la surveillance. Vous avez même quitté Twitter il y a quelques mois après avoir essayé de vous prendre au jeu, est-ce pour les mêmes raisons ? 
 
 Je pense que Facebook et Twitter sont de superbes outils, dont je ne juge surtout pas les gens qui voudraient sacrifier leur vie privée pour y participer. Mais personnellement, je trouve les réseaux sociaux beaucoup trop déconcentrants. Ils m'empêchent de rêver la journée et c'est à ça que je carbure, donc je suis heureux d'être redevenu un ermite numérique. 


 
Je sais qu'Alan Moore est votre scénariste préféré. Vous avez également déjà dit que vous ne pourriez jamais écrire comme lui. Pourtant, Barrier est ce qui se rapproche le plus de son imagination étrange, non ? 
 
Merci beaucoup, mais je pense qu'Alan Moore est bien plus que cette "imagination étrange". Il est mon auteur préféré parce qu'il a la meilleure oreille de dialogues de tous les auteurs du marché, qu'il a un intellect sans commune mesure et que par dessus tout, il est d'une manière ou d'une autre absolument hilarant !
 
En parlant de géants, je sais que vous êtes amoureux de Katsuhiro Otomo et de DOMU en particulier, pourquoi DOMU plutôt qu'Akira ? Et du côté du marché européen, trouvez-vous des auteurs qui vous inspirent ? 

 Je ne pensais pas que les Comics pouvaient être effrayants jusqu'à DOMU. Otomo est juste le maître absolu du storytelling par le dessin. Et mon album franco-belge préféré récemment est Beautifull Darkness (Jolies Ténèbres) des Kerascoët et Fabien Vehlmann. Je l'ai lu il y a quelques années et j'y pense presque tous les jours depuis. 

 Y-a-t'il d'autres géants contemporains qui vous inspirent particulièrement ? 

Stephen King a été mon prof absent depuis toujours et je crois que je n'arrêterais jamais d'apprendre de lui. 
 
 Et plus récemment, avez-vous un coup de coeur particulier à présenter ? 

Parce que je l'aide tous les mois sur Patreon, j'ai la chance de lire tous les jours les nouvelles pages de Tillie Walden, et elle me maintenant motivé à l'idée d'écrire chaque jour. Elle a l'âge que j'ai quand j'ai commencé à écrire, mais elle est déjà 10 fois meilleure que ce que je ne serais jamais.
 
Merci beaucoup, Brian !

Merci à vous, à bientôt ! 
Sullivan
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