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Edito #73 : Vertigo, Image, Aftershock... Peut-on monnayer l'indépendance des comics ?

Edito #73 : Vertigo, Image, Aftershock... Peut-on monnayer l'indépendance des comics ?

chronique

Le marché des comics est en pleine mutation. A jamais changés par la popularité des aventures de nos super-héros favoris sur les écrans et par l'émergence de nouveaux acteurs, dont un Image Comics toujours plus influent, les comics books ne cessent de nous surprendre et d'innover, alors qu'on nous annonce tous les ans qu'ils disparaîtront dans les mois à venir. Et à l'heure où DC ouvre une nouvelle branche aux saveurs indépendantes et où Image est une nouvelle fois salué pour ses nouvelles séries, il nous semblait bon de revenir sur cet univers qui n'est pas celui des Big-Two, et qui pourtant, ne cesse de changer les choses pour l'industrie des comics.

Une fois n'est pas coutume, cette réflexion très actuelle est initiée par un article vieux de près d'un an. Publié par Comicsbeat, celui-ci revient sur le passage de Sean Murphy, dessinateur star de l'industrie, dans le podcast Off Panel de Sktch. Dans celui-ci, l'auteur de Punk Rock Jesus dressait en effet un portrait assez brutal du marché des comic books et de sa branche indé' avec toute la force qui caractérisait son pamphlet sur la religion. Et le premier sujet à être évoqué est Vertigo, autrefois refuge créatif des artistes DC et catalogue prisé par les lecteurs qu'on pourrait parodier sous le terme "d'adultes". Cette branche de l'éditeur aux deux lettres, qui jadis garantissait aux artistes la possession de leur œuvre est une vraie marge de manœuvre créative, a vu sa taille et son aura réduire au fil des ans. Loin de son âge d'or qui aura vu naître des séries comme The Sandman ou encore Y : The Last man, Vertigo a sans doute perdu du poids à cause de la concurrence toujours plus solide d'Image Comics, que nous complimentons très régulièrement ici.

Et pourtant, Image n'a pas toujours été le superbe bastion créatif qu'il est aujourd'hui. Si sa création par sept artistes du milieu (Todd McFarlane, Jim Lee, Erik Larsen, Rob Liefeld, Marc Silvestri, Whilce Portacio et Jim Valentino) s'est faite en réaction aux Big-Two, la structure n'avait pas, à ses débuts, les ambitions artistiques qu'elle possède en 2016. Et en grossissant le trait, on pouvait alors la considérer comme une entreprise défiante qui préférait se pencher sur des protagonistes franchement irrévérencieux (gros flingues, belles courbes et excès étaient monnaie courante) que des super-héros : quelques années et plusieurs séries déjà cultes plus tard, on se rend compte du chemin parcouru. Seulement, Image a généré, dans sa fulgurante ascension - boostée par l'apparition de The Walking Dead (et son adaptation à la télévision) et l'arrivée de titres couronnés des succès comme Saga - quelques dégâts collatéraux. Et Vertigo est assurément la première victime de la liste.

Murphy s'en est bien rendu compte, et révèle que s'il avait sorti Punk Rock Jesus chez Image, il aurait sans doute gagné bien plus d'argent qu'en le confiant aux soins de Vertigo, dont le modèle est de moins en moins récompensant pour les auteurs, surtout si on le compare à celui d'Image. L'auteur va même jusqu'à dire que même en étant distribué comme un titre de seconde zone chez Image, Punk Rock Jesus aurait eu plus d'impact médiatique et financier. Des accusations assez dures envers l'éditeur de sa très belle histoire. Mais elles se comprennent. Alors qu'Image semble mettre les petits pots dans les grands pour attirer les artistes les plus renommés du milieu, Vertigo a perdu en souplesse et en élan créatif. Récemment, les succès de la branche se limitent aux comic books Mad Max, pas mal aidés par l'excellente réputation du Fury Road de George Miller, et au Suiciders de Lee Joel Bermejo. Un petit peu léger pour un acteur historique du marché. Et pourtant, ce n'est pas faute d'essayer de changer les choses. En fin d'année dernière encore, DC offrait à Vertigo une nouvelle mouture, avec des titres plus variés. Mais l'accueil de la part du public et de la critique semble avoir été limité, en témoigne le lancement de Young Animals, annoncé la semaine dernière par l'éditeur aux deux lettres.

Je n'irais pas jusqu'à dire que l'arrivée d'une nouvelle entité au sein du catalogue DC signe définitivement l'arrêt de mort de Vertigo, mais elle a de sérieux airs d'aveu d'échec. Surtout quand on constate que la plupart des titres annoncés pour Young Animals ont une vraie vibe Vertigo. Drôle de collection que celle de ces jeunes animaux, qui pourraient toutefois réaliser en octobre prochain ce que la mouture la plus récente de Vertigo n'avait pas réussi à faire l'année dernière. Et après tout, à l'heure où une grande partie des lecteurs se tourne vers des titres plus indépendants, il n'est pas étonnant de voir DC se pencher sur une nouvelle béquille créative, qui ne pourra que soutenir l'effort de guerre fourni par ses titres super-héroïques, et maintenir un lectorat autour des univers de l'éditeur aux deux lettres. 

DC n'est d'ailleurs pas le seul à se tourner vers cette indépendance - toute relative, nous sommes d'accord - comme nous le montrent les exemples d'Aftershock Comics, qui réunit toujours plus d'artistes de renom sous sa bannière (Sullivan vous en parlait il y a quelques temps déjà) ou le dernier teaser d'IDW, qui pourrait bien déboucher sur l'arrivée de titres toujours plus créatifs chez l'éditeur des Tortues Ninja. Et même si Marvel n'a franchement pas besoin de se lancer dans cette mode pour s'imposer - tant les comics Star Wars surpassent tout ce qui se fait en ce moment, en termes de ventes - on ne peut s'empêcher de remarquer que les titres expérimentaux sont toujours plus nombreux chez l'éditeur. Il y a quelques années, on aurait pu prendre l'exemple du Hawkeye de Matt Fraction. Et plus récemment, on pourrait prendre celui du Moon Knight de Jeff Lemire ou du Black Panther de l'essayiste Ta-Nshi Coates.

Plus que jamais sous le feu des projecteurs grâce à Hollywood, les comics semblent donc prendre conscience de leur créativité, et de l'importance de l'indépendance dans celle-ci. Une réaction presque ironique, tant les inégalités et les problèmes dans le petit milieu des comics semblent toujours plus forts. L'année dernière, près de la moitié des artistes de l'industrie vivait ainsi en-dessous du seuil de pauvreté américain - et nous ne faisons pas mieux en France, faut-il le préciser - par exemple. On remarque aussi la disparition, ou du moins la transformation, du métier d'éditeur, au profit de managers plus à l'aise avec l'aspect économique que l'aspect artistique de l'industrie des comic books. Ce qui conduit Murphy à mettre le doigt sur des pratiques managériales assez tyranniques de la part des Big-Two, qui consolident leurs positions sur le salaire des artistes en prétendant leur offrir un tremplin inestimable. "Plus d'argent, mais on vient de te donner du Deadpool ? Tu rigoles !" : ce genre de phrases sont courantes, d'après l'auteur, et sont un reflet évident des discours français sur la passion et l'argent, qui affolent toujours plus nos auteurs de bande-dessinée

A l'heure où Marvel Studios fait des milliards en adaptant le plus fidèlement possible des personnages aimés aux quatre coins du globe, l'industrie des comics books, et celle de la BD en France d'ailleurs, nous envoient ainsi le message suivant : on ne peut pas concilier passion et argent. Et c'est faux, vous vous en doutez. Une telle affirmation amène d'ailleurs les éditeurs de comics, et surtout les Big-Two, à marcher sur la tête. Si on ne peut pas associer passion (ou au sens plus large, créativité) et argent, pourquoi les éditeurs lancent-ils des branches, des catalogues ou des titres qui ont pour objectif de générer les deux ? Sans doute parce que tout ce petit monde commence à sentir le vent tourner. Et je ne crois pas exagérer en déclarant que nous sommes en train d'assister à une véritable révolution artistique et industrielle du milieu des comics. Et si les reflets les plus visibles sont pour l'instant un Image Comics surpuissant artistiquement et un Vertigo en plein déclin, d'autres effets sont à prévoir. Y compris une éventuelle monétisation de cette liberté créative, qui caractérise ou caractérisait ce type d'entités.

Les éditeurs de comics, quels qu'ils soient, pourraient ainsi travestir cet élan créatif venu d'Image et Vertigo en véritable mode industrielle. Reste à savoir si celle-ci se fera au détriment du travail de très grands artistes et de très grands éditeurs indépendants, ou si au contraire, elle entraînera un changement progressif des mentalités, jusqu'au retour d'un certain équilibre dans le marché des comics, aujourd'hui marqué par des tendances très fortes et parfois carrément contradictoires : l'exemple de la suprématie écrasante des titres Star Wars sur leurs concurrents et de la popularité des titres Image, en relié notamment, nous le montrent très bien.

Republ33k
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