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Dieu(x) et comics, entre politiquement correct et métaphysique

Dieu(x) et comics, entre politiquement correct et métaphysique

DossierMarvel

« Il n’y a qu’un seul Dieu madame, et je ne crois pas qu’il s’habille comme ça ». Cette réplique de Captain America à Black Widow n’est sans doute pas celle qui vous aura le plus marqué dans le chef d’œuvre de Joss Whedon, Avengers (personnellement j’ai préféré Nick Fury à Loki : « Ant. Boot. »). Mais elle soulève pourtant une question intéressante présente dans nombre de nos chers comics mais sur laquelle très peu se sont finalement penchés : celle de la coexistence de nombreuses divinités dans le même univers. Et même plus précisément celle du rapport entre les divinités païennes et le Dieu unique issu des trois religions du livre (judaïsme, christianisme et islam).

Commençons par une petite précision d’ordre sémantique si vous  le voulez bien. Pour la suite de ce dossier le mot « Dieu » (avec la majuscule) désignera l’entité évoquée dans la dernière phrase du paragraphe précédent, par opposition aux autres divinités auxquelles on se réfèrera en tant que « dieu(x) » (pas de majuscule et pluriel possible). N’y voyez aucune position théologique ou philosophique de ma part mais un simple souci de clarté et de concision pour éviter de répéter inlassablement « Dieu unique issu des trois religions du livre ». A la longue ça deviendrait lassant. Le détail des différentes « versions » de Dieu/Yaweh/Allah sera quant à lui évoqué plus loin.

Ceci dit, entrons sans plus tarder dans le vif du sujet. Que vous soyez un passionné de longue date, un lecteur occasionnel ou même juste un cinéphile, il ne vous aura pas échappé que de très nombreuses divinités peuplent les pages des différents univers comics. Celles-ci sont issues d’à peu près tous les panthéons à travers le monde et l’histoire, avec une certaine prédilection pour ceux gréco-romain et viking. Mais, si ces dieux sont clairement représentés, et font même parfois partie des personnages phare des éditeurs (Thor chez Marvel pour ne citer que lui), Dieu lui est beaucoup plus élusif.

D’Asgard à l’Olympe en passant par les étoiles

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Que ce soit dans l’univers Marvel ou DC (mainstream, hors Vertigo donc), les dieux païens sont donc légion. Pour la maison des idées on pourra citer pêle-mêle tout le panthéon viking, les Ases en tête (Thor,Odin, Tyr…), Hercule et toute la clique des olympiens (Zeus, Ares…). Mais il y a aussi des divinités plus exotiques comme on a pu le voir notamment dans le crossover Chaos War il y a quelques années. Hercule et ses alliés affrontaient Mikaboshi, une entité issue de la culture japonaise. Et d’ailleurs un peu avant Herc avait assemblé un God Squad composé de divers dieux et déesses issus de nombreuses cultures pour aller affronter le dieu des Skrulls. Il y a aussi toute une série de dieux propres à l’éditeur, comme le dieu panthère qui confère ses pouvoirs à Black Panther.

A cela s’ajoutent des entités abstraites sensées représenter de grandes constantes universelles. Si elles ne sont pas des dieux au sens où aucune religion n’est formée autour d’elles, elles occupent cependant une place réelle dans ce qu’on pourrait appeler la cosmogonie Marvel. Citons ainsi Infinité,Le Tribunal Vivant, le Phénix ou même Galactus et les Celestials

L’univers DC est aussi bien fourni en la matière, avec une grosse prédilection pour les dieux gréco-romains qui apparaissent souvent par le biais des aventures de Wonder Woman (Ares fait partie de ses ennemis récurrents, elle fut un temps la championne d’Athena…). Et côté mythologie propre à l’éditeur on peut penser au fameux source wall ou encore à tous les New Gods que Jack Kirby créa pour son fourth world (avec Darkseid, Mister Miracle,Big Barda…). Sachant cependant que le caractère divin des New Gods reste sujet à débat.

Bref vous l’aurez compris à la lecture de cet inventaire tout sauf exhaustif, la métaphysique a de beaux jours devant elle chez le big two. Cependant il ne vous aura pas échappé que, dans la maison des idées comme chez sa distinguée concurrence, une entité manque à l’appel.

A la recherche de Dieu

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Dieu est en effet le grand absent de ces listes. Cependant il ne faut pas en déduire qu’il est totalement absent de ces univers. Bien au contraire. Les différents créateurs ont plutôt tendance à se livrer à un véritable numéro de claquettes pour tourner autour du sujet sans jamais vraiment l’aborder de front.

Marvel n’est pas mauvais à ce petit jeu. Ainsi l’univers 616 possède un diable, ou plutôt LE Diable, en la personne de Mephisto. Celui-ci, quand il n’est pas occupé à réécrire la continuité de Spider-Man ou à draguer Magma des New Mutants, est bel et bien le souverain de l’enfer. Enfer où, par exemple, Dr Doom est allé  pour libérer l’âme de sa mère (dans le célèbre one-shot avec Dr Strange). Et si l’enfer et le Diable existent, ça doit bien être vrai aussi pour Dieu et le paradis non ? Et bien oui.

On a effet droit à une visite express au paradis dans la mini-série Ghost Rider Heaven’s On Fire par Jason Aaron, où un ange veut y tenter un putsch. On apprenait aussi durant le run de Jason Aaron sur le Rider que tête de flamme était un agent du paradis, et pas du tout de l’enfer comme on le croyait jusque là. Autre exemple amusant, dans l’arc Hereafter de Fantastic Four (#509-511), les FF se rendent au paradis pour ressusciter La Chose. Et là nos héros rencontrent même Dieu, qui a les traits de… Jack Kirby. Cependant cet épisode doit plus être considéré comme un fusil à un coup et une belle mise en abîme que comme un élément de la continuité théologique de l’univers 616.

Ainsi Dieu semble bien faire partie du panthéon Marvel, mais il est surtout évoqué en creux. On déduit de divers éléments qu’il existe mais on ne le voit jamais. DC s’est montré encore plus ingénieux dans ce registre. Comme chez Marvel on peut supposer au vu de divers éléments qu’il existe. Ainsi le DCU a un enfer (on le voit notamment dans la mini Day Of Judgement, où on y récupère Hal Jordan pour en faire le nouveau Spectre). Et Le Spectre justement est sensé être l’incarnation de la colère divine (et au passage est un ange déchu qui avait aidé Lucifer dans sa rébellion). On pourrait ainsi multiplier les exemples. Il y a même eu un arc de JLA par Grant Morrison où les héros affrontaient des anges. Et l’un de ces derniers, Zauriel, a même finit par rejoindre l’équipe. Mais là où DC a très tôt fait preuve de génie c’est en créant le concept de La Présence (mentionné dès More Fun Comics #52 en 1940). En gros la présence c’est Dieu, ou plutôt la manifestation de son existence. L’absence de doctrine éditoriale précise à propos de cette entité en a fait un superbe fourre-tout chaque fois qu’un auteur veut se référer à Dieu sans le dire mais sans ambiguïté non plus.

Dieu qui ?

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Tout cela est bien beau, mais il ne faut pas oublier que Marvel et DC ne sont pas les seuls éditeurs de comics au monde. Il peut donc être intéressant de se demander comment les séries d’autres maisons abordent la question de la divinité dans leurs pages. L’univers Top Cow, peut être le principal univers multi-série cohérent hors Marvel et DC (depuis la fusion de l’univers Wildstorm avec DC), opte pour une approche originale, surtout depuis que Ron Marz lui a donné plus de cohérence avec Artifacts. Les références bibliques y sont certes présentes. Citons à ce titre la Magdalena, descendante du Christ et armée de la lance de la destinée, celle qui perça le flanc dudit Christ. On pourra aussi penser à l’enfer vu dans l’event Inferno (qui essaya en son temps lui aussi de donner une cohérence à un univers jusque là éparpillé), où Jackie Estacado (le Darkness) fut un temps envoyé. Mais aujourd’hui toute la métaphysique de l’éditeur à la vache semble tourner autour des treize artefacts magiques, et s’éloigne ainsi de toute connotation religieuse. Alors oui, on a toujours un prêtre défroqué (Tom Judge alias The Rapture) et la Magdalena dans la bagarre. Mais l’Angelus par exemple n’est présenté que comme une sorte d’incarnation de « la lumière », sans référence au divin. Comme le Darkness incarne les ténèbres sans que le Diable ni l’enfer s’en mêlent.

Dans un registre similaire on peut évoquer Hellboy de Mike Mignola et ses dérivés (BPRD…). Là encore on a des références nombreuses et explicites au christianisme (Hellboy est un démon, on ne compte plus les divers prêtres dont les bénédictions sont utiles pour les objets magiques, ou les références aux miracles de saints). Mais Dieu est aux abonnés absents, et on sent bien que toute une autre cosmogonie inspirée par divers folklores (laBaba Yaga, les fées) ou écrits (le mythe de Cthulu de Lovecraft, revu et corrigé en Ogdru Jahad) prédomine. Ainsi même un mythe chrétien comme la légende arthurienne se voit vidé de sa connotation religieuse. Et il n’y a pas non plus de réel effort de cohérence métaphysique au-delà de « tiens ce serait cool de mettre ça dans l’histoire ».

Dieu superstar

 

A l’inverse, d’autres séries optent carrément pour une représentation explicite de Dieu. Il est intéressant de noter que lesdites séries ont pour point commun soit d’être connues pour leur côté plus ou moins provocateur, soit de placer la religion au centre de leur thématique. En gros Dieu sert soit de sujet principal soit à donner un coup de pied dans la fourmilière. Savage Dragon #31, avec son affrontement dantesque entre Dieu et Satan, est un superbe exemple de la deuxième catégorie. En même temps comment être surpris quand on connaît la série d’Erik Larsen (ah le gorille doté du cerveau d’Hitler…). On pourra aussi penser à des titres moins connus comme Loaded Bible Jesus Vs Vampires par Tim Seeley. Spawn se situe aussi à la lisière de cette catégorie de comics (on y voit Wanda mettre au monde des jumeaux qui ne sont autres que Dieu et le Diable, et il regorge d’anges et de démons). Si le titre n’est pas à proprement parler connu comme hyper provocateur, il se veut quand même « edgy », pas pépère et bien comme il faut.

Le Preacher de Garth Ennis allie quant à lui réflexion sur la foi et une bonne grosse dose de provocation bien trash. Lucifer (spin off de The Sandman), de Mike Carey, compte bien évidemment la religion parmi ses thématiques majeures. Ou plus exactement elle fait des personnages de la bible (et d’autres religions d’ailleurs) ses acteurs principaux. En même temps, avec le Diable comme héros il fallait s’y attendre. Et Dieu a même droit à sa petite apparition à la fin. De même si le Fallen Angel de Peter David n’est pas à proprement parler une série sur la religion, elle accorde quand même une grande place à ses « acteurs », ne serait-ce encore une fois qu’avec le personnage principal de Liandra, un ange déchu. Et Dieu est aussi présent pour le final. Enfin, parmi les prototypes du comic centré sur la question religieuse, comment ne pas citer American Jesus de Mark Millar. A noter par contre qu’on ne parlera pas d’American Virgin, puisque s’il traite bien de religion ce titre ne l’aborde pas via le surnaturel. Enfin comment ne pas évoquer Strange Girl de Rick Remender, et sa conversation étonnamment profonde entre Bethany, l’héroïne, et Dieu lui-même, qui est la clé de tous le dénouement de la série.

« Un crime sans victime »

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            En résumé, on peut donc dire que si les dieux sont omniprésents dans les pages de nos chers comics, Dieu est en revanche un sujet beaucoup plus sensible. Il parait donc intéressant de se demander pourquoi. Interrogé sur la question, Mike Carey (auteur de Lucifer donc) nous a livré une réponse peut être un peu cynique mais sûrement pleine de vérité :

« […] On rencontre souvent l’idée que les panthéons païens étaient juste de la mythologie ou de la superstition ou appelez ça comme vous voulez, alors que la chrétienté est la vérité révélée. Ça vient en partie d’un désir sincère – même s’il est malavisé – de ne pas offenser les véritables croyants, mais je pense qu’il y a aussi une sorte de lâcheté morale là dedans. Comme si on disait : attaquons des chiens de paille [NdT : ici dans le sens de « des cibles sans importance »], les dieux en lesquels plus personne ne croit, et moquons nous de l’irrationalité de la foi. Mais arrêtons-nous quand on arrive à l’époque présente et à notre propre contexte culturel, parce que ce n’est pas irrationnel, non monsieur. »

Il ajoute aussi que :

« […] Il y a un énorme establishment lié à la promotion de la chrétienté et à la surveillance de ses frontières. Mettre Zeus ou Thor dans un comic book est un crime sans victime : il n’y aura pas de retombées. Ça ne sera pas toujours le cas si vous mettez Jésus dans un comic book – Ou a fortiori Mahomet. »

En effet la religion est toujours un sujet sensible, et c’est encore plus vrai dans la société américaine, ou elle a beaucoup plus d’importance qu’en France (« In god we trust » sur le billet de 1$, ça dit tout). Le défuntComic Code interdisait d’ailleurs de « ridiculiser ou attaquer toute religion » (texte amendé plus tard en obligation de respecter les croyances et institutions religieuses). Et les lobbies sont très puissants chez l’Oncle Sam, pouvant causer de gros ennuis financiers aux éditeurs, ne serait-ce qu’en leur faisant de la mauvaise publicité.

On comprend donc que les mastodontes que sont Marvel et DC préfèrent jouer la carte du politiquement correct et évitent de contrarier les plus tatillons de leurs lecteurs. Top Cow peut d’ailleurs être mis dans le même panier pour l’occasion. Une anecdote amusante permet d’illustrer cela : à une époque l’éditeur avait promis de se pencher sur la question de l’utilisation du juron « goddamn » (« Dieu le damne » littéralement, plutôt équivalent à « putain » en Français) par ses personnages. Cela après qu’un lecteur se soit plaint que le nom du Seigneur soit mentionné en vain via le courrier des lecteurs de Witchblade. Alors certes il n’y a pas eu d’autocensure ultérieure, mais le fait que la question n’ait pas été balayée d’un revers de main montre bien la sensibilité du sujet. Et s’il ne faut pas forcément voir une volonté de « se moquer de l’irrationalité de la foi » dans l’utilisation de personnages comme Thor ou Zeus, il reste certain qu’au moins personne ne risque de s’en plaindre.

Cela explique aussi en partie pourquoi Dieu apparaît soit pour jouer la carte de la provocation, soit pour être mis au centre de l’histoire. Quitte à braver le politiquement correct autant le faire en grand, pas juste pour une incidente. Et on peut aussi supposer que c’est pourquoi on n’est jamais confronté aux « versions » juives ou musulmanes de Dieu. Les juifs américains, majoritairement Ashkénazes, sont pour ainsi dire laïcisés : l’identité juive aux Etats-Unis est au moins autant une identité culturelle que religieuse, il n’y a donc pas forcément besoin d’utiliser Yaweh pour parler de judaïsme. Et utiliser Allah (ou Mahomet d’ailleurs) c’est finalement s’exposer à la critique pour traiter d’un sujet qui n’est pas dans le contexte culturel de la majorité des auteurs (donc peut être un sujet qui les attirera moins car il les touchera moins) ni des lecteurs de comics. Beaucoup de risque pour pas grand-chose donc.

Sympathy for the devil

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Le diable semble cependant échapper à cette omerta politiquement correcte. Là aussi Mike Carey nos a livré une réponse intéressante :

« Le diable est à la fois plus simple à utiliser dans un récit et plus sûr pour ce qui est de ne pas violer de tabou. Et il y a une longue, longue tradition dont on peut s’inspirer. Il apparaît dans toutes sortes de récits, qui remontent au moins au moyen-âge. […] C’était juste que Satan a toujours été le personnage le plus attirant d’un point de vue dramatique, et laisse donc une empreinte plus indélébile sur le récit. »

            Il peut en effet sembler plus « sûr » pour un éditeur de faire apparaître le diable dans ses publications tant que celui-ci est le méchant. En effet ainsi même les pires fanatiques auraient du mal à s’en plaindre. Alors oui, le problème pourrait s’avérer épineux si le diable devait être vu comme un personnage positif (ou au moins pas totalement négatif), comme pourrait sans doute en témoigner Neil Gaiman. Dans son introduction pour le premier trade paperback de Lucifer, le créateur de Sandman raconte qu’à chaque fois qu’on lui demander ce qui ferait un bon spin off de sa série il disait « Lucifer », ce à quoi on lui répondait inexorablement « Qui d’autre ? ». Cependant force est de constater qu’il est rarement envisagé de faire de Lucifer un véritable gentil (quel en serait l’intérêt ?), et que le cas d’un comic purement sataniste est surtout une hypothèse d’école. Donc Lucifer est toujours plus ou moins vil et la morale est sauve. Cependant sa nature en tant que personnage est peut être la raison la plus déterminante derrière ses apparitions.

De la nature des dieux

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En effet le diable est un personnage finalement assez humain, avec une réelle motivation (son ambition, ou sa soif de liberté dans Lucifer), des faiblesses. Et surtout il agit directement dans le monde des hommes, il interagit avec les humains. Alors que traditionnellement Dieu est plus envisagé par la religion chrétienne comme une abstraction (comme chez les juifs et les musulmans, où on n’a même pas le droit de le représenter). Le concept de la trinité, à savoir le père le fils et le saint esprit qui sont à la fois trois et une bonne illustration de cette idée. Bref Dieu n’est pas juste un humain doté de pouvoirs miraculeux ni même un surhomme, il n’est pas « juste une version plus grosse, plus puissante de nous même. Il est un être d’un ordre différent » dit Mike Carey. Sans compter que Dieu est sensé être omniscient et omnipotent, ce qui peut paraître rédhibitoire pour un auteur qui voudrait l’inclure dans un récit. Déjà qu’on se plaint souvent que Superman est trop puissant, imaginez le casse tête que représenterait un personnage qui peut littéralement TOUT faire.

Tel n’était clairement pas le cas des dieux païens. Car même si ceux-ci comptaient des entités toute puissantes parmi leur nombre (Vishnu chez les Hindous, Odin chez les Vikings, tous deux considérés comme les créateurs de l’univers), ils restaient plus proches des humains par leur tempérament. Ces anciens dieux avaient des caractères bien trempés, des faiblesses, des personnalités propres, et c’étaient bien plus leurs pouvoirs que leur nature profonde qui les différenciaient des humains. Bref, on pourrait presque dire qu’ils étaient en quelque sorte les ancêtres de nos super-héros, ces humains dotés de pouvoirs extraordinaires. Il est dès lors moins étonnant de voir Thor se tenir aux côtés de Captain America et Iron Man.

Sans compter que, toujours selon Mike Carey, « la plupart des ces anciens mythes encourageaient le procédé de la fabulation en comportant de nombreuses histoires passionnantes dans lesquelles leurs dieux participaient activement. La Chrétienté ne fait pas ça, ou pas de la même façon […] ». On retrouve donc dans les traditions païennes l’idée de mettre en scène les dieux comme n’importe quels autres personnages, ce qui renvoie aussi à la tradition d’intervention du diable dans les récits évoquée plus tôt. De Zeus à Lucifer, tous sont traditionnellement conçus comme de réels personnages, et s’intègrent donc plus naturellement dans un récit, à la différence de l’entité abstraite qu’est Dieu et au-delà de toute considération politiquement correcte. A noter que Jésus, plus humain, peut parfois présenter une alternative intéressante, ce qui explique qu’il arrive qu’on le croise dans certains récits.

Who’s the boss ?

 

Cependant, on l’a vu, Dieu reste bel et bien présent dans de nombreux récits, au moins en creux. Si bien que quand il coexiste avec d’autre panthéons, on peut s’apercevoir qu’une sorte de hiérarchie se met en place entre les dieux païens de tous poils et celui-ci. Celle-ci est en général implicite (ne vous attendez pas à voir Odin plier le genou devant qui que ce soit), mais elle transparaît dans la façon dont sont traitées les différentes manifestations de la divinité. Même les membres les plus puissants des panthéons païens subissent des avanies (Zeus transformé en gamin ou en vieil ivrogne dansHerc, Odin mort de trop nombreuses fois pour les compter…). On les voit douter, se disputer, et même quand l’un d’eux rejoint le camp des vilains, il finit par être vaincu par le(s) héro(s) (voir Mikaboshi dans Chaos War par exemple). De même les manifestations des pouvoirs des dieux païens peuvent devenir monnaie courante. Qui tique encore en voyant Thor faire tomber la foudre avec Mjolnir ? Par contre un miracle de la part de Dieu serait à n’en pas douter un évènement majeur.

Les auteurs eux-mêmes semblent conscients de cet état de fait. Greg Rucka a par exemple déclaré dans une interview en 2008 à Comic Book Ressource :

« L’espèce de règle implicite dans l’univers DC est que Dieu est assis au dessus de tous les autres. Et puis en dessous vous pouvez avoir vos New Gods et vos dieux Grecs et qui vous voulez. »

On voit là, à n’en pas douter la conséquence tant du souci de politiquement correct mentionné plus tôt, que de la différence de nature entre Dieu et les dieux païens. Et on peut même s’avancer en disant que se crée ainsi un hyper-espace religieux, celui de Dieu, qui englobe les espaces religieux « inférieurs » correspondant aux divers panthéons païens ou propre aux comics.

Néanmoins un auteur a réussi dans son œuvre à élaborer une solution un peu différente encore plus élégante pour faire cohabiter toutes ces divinités : Neil Gaiman dans The Sandman. Laissons une dernière fois la parole à Mike Carey pour expliquer ce procédé (qu’il a repris dans Lucifer, et dont il a de son propre aveu fait une préoccupation centrale dans The Unwritten, moins le vernis religieux) :

« Le génie de Sandman a été de créer une uber-mythologie [NdT : sur-mythologie] qui subsume et contient toutes les mythologies existantes. Il expliquait, très subtilement, le mécanisme dans l’histoire A Dream Of A Thousand Cat [Sandman #18]. Tous les dieux tirent leur pouvoir de la foi humaine. Tandis que la foi change, la réalité est réécrite – mais les choses en lesquelles on a puissamment cru continuent d’avoir une existence et un effet sur le monde. Les dieux, l’arbre monde, les mondes au dessus et en dessous de l’univers qu’on perçoit, ces choses font toutes partie de la même équation. Des valeurs pas constantes, mais fluctuantes, qu’on peut manipuler de façons qui changent le monde réel. Pour l’instant, Yaweh est le créateur de l’univers. Pour l’instant, il l’a toujours été. Demain, ça pourra être (et ça aura toujours été) quelqu’un d’autre qui l’a fait. Le pouvoir de Dieu – ou les pouvoirs des dieux – sont contingents de nos perceptions ».

Et c’est donc avec cette dimension rétroactive de la divinité que Neil Gaiman a pu trancher le nœud gordien de la métaphysique dans les comics.

Merci à I-Spawn, Katchoo et Manu pour leurs informations certains univers et personnages. Et bien sûr à Mike Carey pour ses réponses à nos questions.

 

Jeffzewanderer
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