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Johnny Red - The Hurricane : L'histoire est écrite par les vainqueurs

Johnny Red - The Hurricane : L'histoire est écrite par les vainqueurs

ReviewIndé
On a aimé• De superbes scènes de combat aérien
• Des personnages entiers et attachants
• Garth Ennis rend hommage à ses comics doudous
• Les soldates, une donnée rare dans la BD militariste
• Belle galerie de bonus
On a moins aimé• Comme une impression de déjà lu
• Burns moins à l'aise sur les visages
• Quelques détails "réels" superflus
Notre note

Garth Ennis appartient à cette catégorie de grands auteurs capables de vous faire rentrer dans leur univers. Même si celui-ci n'a, en apparence, rien de très accueillant. La qualité du bon scénariste se définit aussi à cette échelle : explorer un thème, une obsession personnelle, et la communiquer ou la transmettre à un public qui n'aurait, en apparence, aucun atome crochu avec cette gamme de sujets. Prenez la guerre. Prenez l'armée. Pour le lectorat d'Ennis, formé sur la base Preacher, The Boys ou du Punisher, le contrat stipule généralement une bonne dose d'humour gras, beaucoup de violence, un esprit de polar sans concessions, et, éventuellement, un arrière-plan militariste plus ou moins apparent.

Avec le temps, ce sujet a fini par prendre de plus en plus de place dans les travaux de l'auteur. Au point d'occuper une bonne partie de ses créations modernes - en allant tordre Castle pour le faire rentrer dans un moule de format de récit historique avec Punisher : The Platoon, comme il l'avait déjà fait avec Fury Max, ou en assumant d'écrire des comics sur la Seconde Guerre Mondiale à une cadence exponentielle. The Stringbags, Battle of Britain, Sara, le bonhomme livre désormais une fournée quasi-annuelle de bande-dessinées basées dans la chronologie réelle des grandes batailles contre le nazisme, et n'a pas prévu de s'arrêter en si bon chemin. Publié aux Etats-Unis chez Titan aux Etats-Unis et chez Komics Initiative en France, la série Johnny Red participe à cet effort de guerre. Et comme souvent, que l'on soit ou non intéressé par le genre du comics de soldat, Garth Ennis livre une superbe copie, cohérente dans sa bibliographie et suffisamment sincère pour garder le fan (pacifiste) en haleine le long de ces huit numéros.
 

 
A ceci près que Johnny Red, contrairement à d'autres créations plus autonomes, n'est pas seulement une invention de l'auteur basée sur sa seule connaissance de l'Histoire. Le personnage fait partie de la grande salve de séries martiales publiées au Royaume-Uni dans les années 1970, via les magazines du groupe IPC (où apparaît notamment la légendaire revue 2000AD) et Battle Picture Weekly en particulier. Si la bande-dessinée a longtemps accompagné la vie des soldats, les Anglais, contrairement à leurs camarades des Etats-Unis et leurs séries patriotiques, inséraient dès cette période un esprit plus contestataire au sein de ce genre précis, souvent réservé à une propagande va t'en guerre. L'exemple le plus connu étant certainement Charley's War (édité en France chez Delirium) de Pat Mills et Joe Colquhoun. Le titre Johnny Red de Tom Tully faisait également partie des grosses machines de Battle Picture Weekly, avec, là-encore, Colquhoun aux dessins. Le principe était tout bête : déplacer un soldat britannique déserteur en pleine Union Soviétique, pour le mettre à la tête d'un escadron de pilotes en plein combat contre les nazis.
 
Ce synopsis a tout pour plaire à Garth Ennis, biberonné aux comics militaires d'IPC dans son enfance et amoureux des grandes gueules anglaises en territoire étranger. L'auteur va réinventer cette histoire en la regardant depuis le présent, lorsqu'un multimillionnaire américain, Tony Iverson, jeune prodige de l'économie du web et passionné d'aviation, met la main sur les restes de l'engin piloté par Johnny Red lors de ses exploits aériens. En cherchant à connaître le parcours de cet étrange avion de combat, Iverson remonte la piste d'un vétéran russe qui a servi aux côtés de l'as des as. Celui-ci va lui raconter son histoire, entrecoupée de quelques commentaires et du regard rétrospectif nécessaire. En résumé, prenez la structure de Titanic, rajoutez des nazis, de la vodka et des chorégraphies aériennes, et vous avez le topo.
 

 
Ennis vole vite vers ses thématiques de coeur : la passion et l'entraide des soldats face à une hiérarchie de planqués, la méfiance envers les hommes de pouvoir qui enclenchent les conflits sans savoir comment les terminer. La profonde humanité des hommes de terrain, guerriers courageux, loyaux, qui savent nommer chaque pièce de leur flingue et chaque piston de leur moteur, et pour qui un supérieur est avant tout un emmerdeur qu'on se doit d'envoyer valser. Johnny Red a tout de l'archétype du héros classique dans la bibliographie de l'auteur : blagueur, souriant, respecté de ses hommes, excellent aux armes, amateur de gnôle et de cigarettes comme les grandes figures du cinéma où Ennis va généralement chercher son homme de terrain idéal. Un esprit de grande gueule de Liverpool vient parachever le portrait, pour ranger Johnny Red dans la famille des Billy Butcher ou Tommy Monaghan. L'écriture trahirait presque un manque général de variété, en particulier quand le personnage est censé n'avoir que vingt ans mais en paraît quarante, à la fois dans son expression et dans les dessins de Keith Burns, qui lui floque une gueule burinée et une allure de capitaine rompu à l'exercice martial.
 
Le gros de l'intrigue se concentre sur un épisode précis - et fantasmé - de la Seconde Guerre Mondiale, que l'on pourrait légitimement comparer à la mission des hommes d'Aldo Rayne dans Inglorious Basterds (Ennis n'a d'ailleurs jamais caché son affection pour les films de Quentin Tarantino). Comme d'habitude, le contexte historique est travaillé et étudié, avec toute une batterie de références insérées entre les numéros pour enseigner l'histoire vraie de la guerre aux acquéreurs du tome - l'ouvrage est épais en termes de bonus, avec des explications sur la genèse de la première série Johnny Red de Battle Picture Weekly, des pages consacrées à l'armée russe et quelques peintures de Keith Burns. Ennis aurait parfois tendance à perdre le lecteur en s'acharnant à décrire la mécanique des engins, ou des variables de tactique lourdes à encaisser - ce volume ne fait pas exception à la règle, et si on se passionne pour ce groupe de pilotes, ce héros, ces environnements glacés et les portraits fascinants qui peuplent les pages de la série, on acceptera de lire en diagonales quand le scénariste commence à réciter sa leçon.
 
Ces quelques représentent toutefois la maigre quantité de gras dans un ensemble généreux. Généreux en batailles, magnifiquement rendues par un Keith Burns très à l'aise dans les double pages, le travail des perspectives sur les modèles d'avion et les magnifiques balais aériens, parfois confus mais toujours impressionnants à contempler. Moins à l'aise sur les visages (féminins en particulier), le dessinateur livre une copie généralement agréable à l'oeil en étant fort aux bons endroits. Des paysages enneigés à perte de vue au côté crasseux et désordonné des hangars militaires, de la restitution de modèles d'avions immédiatement identifiables dans la topographie aérienne du combat, avec un travail sur les éclairages, les contours, les effets de noirceur, pour donner à chaque scène une identité particulière en fonction des directions de scénario.
 

 
De son côté, Garth Ennis pose un regard original sur l'Histoire. A l'époque, sans doute que l'idée du roman graphique Sara lui trottait déjà dans la tête : l'auteur évoque le caractère particulier de l'armée russe, seule formation martiale de cette période à avoir accueilli des femmes dans différents régiments. Si les snipeuses sont les plus connues, les pilotes, dites "Sorcières de la Nuit" trouvent leur place au côté de l'escadron de Johnny Red, représentées par une autre guerrière à forte poigne baptisée Nina. Le fait d'opérer en territoire soviétique permet à l'auteur d'insérer une dynamique amoureuse, généralement assez rare dans les oeuvres de guerre compte tenu du caractère essentiellement masculin des troupes occidentales, au sein du volume. Si Johnny est déjà un archétype à part entière, Nina est la réponse habituelle de Garth Ennis à la femme de combat idéale. Drôle, forte tête, passionnée, celle-ci amène un peu de couleur et de variété au genre, et permet aussi de rendre hommage aux soldates russes longtemps ignorées des manuels historiques.
 
Sur le cas des forces en présence, en dehors de l'hommage plus ou moins évident à Inglorious Basterds, Garth Ennis anime des personnages russes dans un dialogue entre passé et présent : les souvenirs de Joseph Staline et de la dictature communiste font partie des thèmes de l'album, sous la forme d'un regard entre l'individu, le destin des peuples et les hommes de pouvoir. Cette séquence particulière, où la Russie aura eu un rôle important à jouer dans la défaite du nazisme, permet d'esquiver un portrait de l'U.R.S.S. comme une dictature froide et menaçante à la George Orwell, mais Ennis n'oublie pas de rappeler le quotidien du peuple et le poids de cette hiérarchie de fer menée par un autre genre de fasciste. Les soldats, seuls représentants de l'humanité dans ces quelques pages, ont aussi droit à une trajectoire postérieure à la guerre : le narrateur nous explique que tous ne sont pas tombés au combat, et que le but n'est pas de raconter une sorte de dernière croisade homérique de quelques hommes libres opposés à l'obscurantisme. Ennis ne tombe pas dans la fatalité.
 
Au contraire, cette curieuse admiration pour les porteurs de treillis pousse le scénariste à broder une rivalité façon Snoopy et le Baron Rouge avec un pilote chevaleresque de la Luftwaffe : Johnny Red a son propre adversaire en la personne de Von Jurgen, une donnée qui vient se greffer à l'intrigue en hommage à l'esprit pulp des comics de Battle Picture Weekly. Ce n'est pas la première fois que le scénariste insère un faisceau d'humanité dans une figure de nazi. Déjà, dans Thor : Vikings, un pilote de la Luftwaffe venait prêter main forte au dieu scandinave pour affronter une armée de vikings immortels, comme si, de son point de vue, un soldat restait un soldat, peu importe la couleur de l'uniforme. Sous une autre plume, le processus aurait quelque chose de gênant, mais dans le propos général de Garth Ennis sur l'humanité à l'ombre des décisions de l'état major, ou la grandeur guerrière des figures de légende, la rivalité entre Johnny et Von Jurgen a quelque chose d'original. L'auteur s'amuse même à piétiner sa propre interprétation en laissant un personnage s'exprimer sur le sujet, comme pour admettre que le ridicule de cette rixe chevaleresque a tout d'un caprice de bourgeois.
 

 
A la conclusion du volume, l'intention est de toutes façons très assumée. Garth Ennis avait envie de rendre hommage à ses lectures de gosse, de s'exporter en terre soviétique, s'accorder une fiction spéculative avec sa formule habituelle. Un grand héros, de grands copains, une histoire d'amour discrète, mais écrite avec beaucoup de tendresse, une lettre d'admiration envers ces vétérans partis en guerre contre l'obscurantisme et pour défendre leur mère patrie. A travers la figure de Tony Iverson, dans lequel il infuse sa propre passion pour l'Histoire et les grandes batailles de la Seconde Guerre Mondiale, l'auteur nous invite à partager cette obsession très précise. Ennis écrit pour rendre hommage à ces hommes, à ces femmes, face à un monde qui oublie peu à peu, et a préféré ranger dans un placard à l'ombre des regard celles et ceux qui ont mené la charge pendant que les dirigeants restaient planqués à l'arrière des lignes. On peut trouver cette vision simpliste, on peut même s'opposer à pas mal des idées du bonhomme, remarquer les répétitions, mais force est de constater que lorsqu'il se met dans la tête l'envie de raconter une histoire, le vieil Irlandais reste sacrément compétent. 

Corentin
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