Pour célébrer la venue de Mad Max Fury Road - en salle dès jeudi prochain - il était temps pour nous de nous pencher sur l'un des projets avortés les plus fantasmés de la galaxie des adaptations de comic books : le Justice League de George Miller, réalisateur visionnaire derrière Mad Max, Babe ou encore Happy Feet.
Nous sommes en 2007, à l'heure où les super-héros ne sont pas encore archi-populaires sur le grand écran : à ce titre, Warner Bros hésite à développer son catalogue. Partagé entre le bel accueil donné à Batman Begins et la déception générée par Superman Returns, le studio est en plein doute quant à l'élaboration de nouveaux films consacrés aux personnages DC. Pourtant, plusieurs cadres des Warner Bros continuent à militer pour une adaptation de Justice League sur grand écran.
A l'époque, Christopher Nolan est en train de développer une suite à Batman Begins, qui deviendra l'incroyable The Dark Knight, mais ça n'empêche pas Warner Bros d'esquisser un projet de Justice league, qui d'ailleurs, s'affranchirait de l'univers bâti par Nolan, en mettant en scène un autre acteur sous le masque de Batman.
Le projet finit par faire son bonhomme de chemin chez Warner Bros, qui valide le projet dans le courant de l'année 2007, et se met alors en quête d'un réalisateur. Rentre en scène George Miller, qui présente sa vision des choses au studio et signe un contrat en septembre. Dorénavant attaché à la réalisation, Miller commence à bâtir son œuvre : il choisit des lieux de tournage, et commence à réunir un casting. Justice League, sous l'impulsion de son réalisateur, se tourne ainsi vers l'Australie. Le pays, dont est originaire George Miller, lui a déjà offert les plus beaux paysages de ces trois Mad Max, mais il propose surtout au studio des exonérations fiscales non négligeables, qui poussent Warner Bros à prévoir l'intégralité du tournage sur place, ce qui ne dérange pas le réalisateur, ravi de tourner à domicile.
Tout va bien dans le meilleur des mondes, et le metteur en scène parvient à réunir un casting plutôt costaud - après avoir auditionné pas moins de 40 acteurs et actrices - qui est immédiatement verrouillé par le studio. Une décision surprenante, car à bien y regarder, la distribution est pour le moins originale : on y retrouve le jeune Armie Hammer en Batman, D.J Cotrona en Superman, Megan Gale en Wonder Woman, le rappeur Common en Green Lantern, Adam Brody en Flash, Santiago Cabrera en Aquaman et Hugh Kaeys-Byrne (le terrifiant vilain de Mad Max) en Martian Manhunter. Côté seconds rôles, Teresa Palmer aurait incarné Talia Al Ghul, Zoe Kazan, Iris Allen, et le tout jeune et Jay Baruchel aurait été le vilain Maxwell Lord. Un casting très hétéroclite, plutôt éloigné des tendances Hollywoodiennes, et qui piochait allégrement dans les connaissances de Miller (Megan Gale et Hugh Kaeys-Byrne seront bientôt à l'affiche de Mad Max : Fury Road, pour ne citer qu'eux).
Avec cette distribution unique en son genre, Miller à l'intention de rendre hommage à l'immensité de l'univers DC, dans une histoire assez folle dont le scénario est écrit par Kieran et Michele Mulroney, qui imagineront quelques années plus tard le second film Sherlock Holmes. Baptisé Justice League : Mortal, le film repose sur trois arcs bien connus des lecteurs de comic books : JLA - The Tower of Babel, Superman : Sacrifice et Crisis on Infinite Earths. Tous ceux qui ont lu ce scénario louent ses qualités, et notamment l'aspect métaphorique et le commentaire social qui se dégage de l'intrigue. Il faut dire que l'histoire du film repose sur Brother Eye, un satellite créé par Batman pour surveiller et également éliminer les méta-humains de notre belle planète. En explorant la paranoïa du chevalier noir, le film s'attaque alors exhaustivement au concept du héros, notamment en mettant en scène le sacrifice de Barry Allen.
Comme vous le savez déjà, nous ne verrons jamais la vision de Miller sur nos écrans. Le projet fut en effet fauché par la grève des scénaristes qui frappa entre fin 2007 et début 2008 : une contestation qui paralysa Hollywood et obligea ses studios à faire des concessions parfois stupides. En l'occurrence, Warner Bros retira ses options sur le casting de George Miller. Le projet bat alors de l'aile, et se voit dans un premier temps repoussé. Hélas, les mauvaises nouvelles n'arrivant jamais seules, l'Australian Film Commission refuse à la production l'exonération fiscale promise, ce qui ne fait qu'envenimer les discussions concernant le budget du film, à l'époque arrêté à 220 millions de dollars. Enfin, c'est Christopher Nolan et son Dark Knight qui viennent donner un coup de grâce au projet, le succès du film rendant impossible la co-existence de deux Batmen à l'écran (Bale et Hammer).
Tant mieux ou pas donc ? Ma foi, la déception ne peut être que totale. Non pas que Zack Snyder et Warner Bros soient perdus d'avance, simplement, on peut regretter l'annulation du projet pour au moins quatre bonnes raisons :
La première, le casting. Pour le coup, George Miller et Warner Bros avaient rassemblé un groupe formidable, très curieux mais passionnant. Armie Hammer, dont le visage semble tout droit sorti d'une planche de comics, aurait fait un Batman et un Bruce Wayne brillant. De même, Megan Gale, australienne fière et élancée me rappelle la Wonder Woman de la série animée Justice League. Tous les acteurs choisis ont ce petit quelque chose qui vous projette déjà dans leur interprétation, ils méritaient donc leur chance. Mais on notera que toutes les idées inscrites en filigrane de cette distribution n'ont pas disparu pour autant. On retrouve l'idée d'un jeune vilain (Jay Baruchel en Maxwell Lord) avec Jesse Eisenberg en Lex Luthor, ou encore celle d'un Aquaman barbu (Santiago Cabrera) dans la version Jason Momoa du personnage. Au passage, on rappellera que les costumes auraient été imaginés par les studios Weta Workshop.
La seconde, l'histoire. Pour le coup, baser l'intrigue sur la paranoïa de Batman nous aurait d'emblée offert un chevalier noir inédit à l'écran. Mais au delà de cette satisfaction de fan, cette idée, pourtant toute simple, génère énormément d'enjeux pour le scénario et ses personnages. Un outil narratif parfait pour conduire une introspection au plein cœur de la Justice League, mais qui est également le vecteur idéal pour quelques bonnes bastons, y compris entre les héros impliqués...
La troisième concerne l'industrie. C'est un argument plus oblique, j'en conviens, mais une véritable uchronie pourrait naître de la sortie de Justice League Mortal, qui était prévue en 2009, soit un an après Iron Man. Incontestablement, le film de Miller aurait chamboulé le monde des adaptations super-héroïques tel que nous le connaissons, et les studios se montreraient peut-être déjà moins frileux dans leurs projets, si toutefois le film avait rencontré le succès - ce qui est encore une autre histoire, des analystes prétendant qu'il aurait plutôt tué les films de super-héros comme Batman & Robin avant lui. Mais pour le coup, on aurait au moins assisté à un développement simultané de l'univers Marvel et DC au cinéma. Et les débats sur le sujet en seraient sans doute moins virulents, en tous cas plus passionnants, sur les internets.
La dernière est évidemment la réalisation de George Miller. Lui qui revient en force et tout en inventivité avec Mad Max : Fury Road nous aurait sans doute offert quelque chose de colossal visuellement. Lors de la promotion de Fury Road, il a par exemple expliqué s'être inspiré des couleurs des comic books et des jeux-vidéo pour revoir l'univers Mad Max dans un quatrième opus. Peut-être aurait-il eu ce déclic plus tôt en s'attaquant à Justice League Mortal. Mais rien n'est encore joué, le réalisateur, comme il l'a fait pour sa propre création, pourrait bien dépoussiérer les films de super-héros en acceptant un projet de Warner Bros dans les années à venir. Se priver d'un tel talent serait particulièrement dommage.