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Édito #17 : Art ou plagiat ? Ou l'infamie de Benjamin Spark

Édito #17 : Art ou plagiat ? Ou l'infamie de Benjamin Spark

chronique

A une heure où Internet rend quasiment tout public, il est un droit fondamental qui souffre tous les jours, de façon plus ou moins délibérée. Plus ou moins délibérée, car on a un peu tendance à l'oublier et à se dire qu'on ne fait pas de mal : le droit d'auteur

Si on navigue sur des centaines de sites et croisons des milliers d'images à longueur de journée, on oublie un peu d'où elles viennent et dans quelle mesure on a le droit de les utiliser. Personne n'est toujours tout blanc ou tout noir dans ce genre d'affaire, mais le monde a appris à vivre avec. Enfin, dans une certaine mesure. Car là où le droit d'auteur vient nous retoucher de plein fouet, c'est lors de l'exploitation commerciale des oeuvres incriminées.

L'art issu de la bande-dessinée, et particulièrement dans le domaine des comics, est un domaine très gris et très glissant. Si on a souvent peu de doute sur les ayants-droit des personnages de manga ou de franco-belge, le système des comics est un tout autre domaine partagé entre éditeurs, créateurs originaux et artistes. De nombreuses batailles légales ont été engagées sur le sujet, et de nombreuses autres pourraient voir le jour. Mais au-delà des droits sur la création d'un personnage, des centaines de dessinateurs sont venus dessiner Batman, Spider-Man et tous les autres grands super-héros américains. Dans quelle mesure ces dessinateurs sont-ils protégés ?

 

Il y a quelques années, Sean Gordon Murphy réalisait un alphabet consacré à Wolverine. Devant le succès auprès du public, il imprimait environ 200 sketchbooks pour les offrir à divers amis ou acteurs de l'industrie des comics. Tout se passait bien, jusqu'à ce que le service légal de Marvel lui tombe dessus et qu'il doive retirer les visuels de son site, et arrêter de distribuer les sketchbooks sous peine de poursuite. Il est à noter que si Sean Murphy a eu des problème, la plupart des artistes naviguent en zone grise lorsqu'ils réalisent des sketchs en convention, basés sur des personnages sous licence. La vente même de leur propres oeuvres basés sur ces personnages reste règlementée. Dans l'affaire qui va nous intéresser ci-dessous, l'artiste français Paul Renaud déclare : "Je dois demander la permission à Marvel pour utiliser mes propres dessins dans un artbook, mais ce gars peut faire ce qu'il veut avec Spidey ou Iron Man, les vendre, les imprimer, en faire des livres, sous le prétexte de la parodie ?".

Ce gars en question, c'est Benjamin Spark, artiste franco-belge au centre d'un véritable SparkGate depuis la semaine dernière.

A l'origine de l'histoire se trouvent Jérémy Briam et Laurent de la boutique Apo(k)lyps. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Jérémy est un grand amateur de comics et surtout très grand collectionneur de planches originales et de commissions d'auteurs, en plus d'être un fêlé total. Ceux qui ont trainé une ou deux fois en convention l'ont forcément croisé. Une passion qui lui vaut notamment de connaître de nombreux auteurs, et ce sera important dans la suite.

Nous avions déjà vu Jérémy et Laurent publier il y a quelques temps des travaux de Benjamin Spark, sans que cela attire particulièrement notre attention. C'est en début de semaine dernière qu'une publication très particulière a attiré notre regard :

Rien de choquant pour l'oeil lambda, c'est même plutôt pas mal. Mais pour un lecteur de comics, et particulièrement quelqu'un qui a le numéro 1 de Danger Girl: The Chase en haut de sa pile de lecture, ça sonne un peu Dan Panosian tout ça. Plutôt beaucoup même :

Mais oui, c'est exactement ça ! Quant au background, Jérémy l'avait noté avant nous, il s'agit d'une planche de Darwyn Cooke. Il ne nous en a pas fallu plus pour aller jeter un oeil au site internet de l'artiste, et découvrir son travail (vous noterez que le "Dan Panosian/Darwyn Cooke" a disparu).

D'entrée de jeu, on découvre Jim Lee, J. Scott Campbell, Frank Cho, Michael Turner [...] de bons gros noms de l'industrie, et bien d'autres encore (on vous laisse admirer ce Tumblr qui vous montre originaux et détournements). Mais le plus choquant dans l'histoire, que ce soit pour les fans ou les artistes originaux, est que chacun des tableaux, en plus de n'apporter presque rien (quelques lignes de peintures, parfois du texte), est uniquement signé de Benjamin Spark, qui ne fait JAMAIS référence aux artistes auxquels il a emprunté les dessins. Il mentionne le fait qu'il utilise des figures de la pop-culture, sans jamais avouer qu'il ne fait que récupérer des dessins tout fait qu'il va (à peine ?) customiser.

En relation avec de nombreux auteurs, Jérémy a fait tourner l'information, notamment auprès de Dan Panosian (vous vous souvenez que son détournement n'est plus sur le site ?), entraînant une réaction en chaîne de la part des auteurs. On a vu chez nous Paul Renaud ou Julien Hugonnard-Bert s'indigner, mais Panosian, J. Scott Campbell, Richard Friend et bien d'autres sont montés au créneau, prenant d'assaut la page Facebook de l'auteur. Nous ne pouvons vous rediriger vers celle-ci, puisqu'après avoir banni les plaignants, Benjamin Spark a fini par fermer sa page.

Aucune réaction de l'auteur pour le moment, si ce n'est cette brusque fermeture et la dissimulation derrière l'argument de la parodie. Légalement, nous attendons de voir ce qui va se passer, les artistes originaux étant suffisamment remontés pour se battre. Les éditeurs pourraient aussi venir se mêler du jeu, et réclamer des droits sur ces oeuvres vendues plusieurs milliers d'euros en galeries d'art. Il est à noter que les oeuvres originales étant retouchées, Benjamin Spark peut invoquer le détournement et la parodie, mais aura du mal à justifier de ne pas avoir notifié et cité les artistes originaux, ainsi que le caractère parodique de ses oeuvres. On notera comme exemple le film "La classe américaine", qui parodie de façon délibérée divers films, tout en n'oubliant pas de mentionner les sources originales.

Finissons une nouvelle fois avec une déclaration de Paul Renaud qui résume la pensée actuelle des artistes sur le sujet :

"Ce genre d'attitude me gêne profondément. Benjamin Spark dit parodier/caricaturer/ interpréter des images de Disney/Marvel/DC quand il copie les travaux de différents artistes. Cette juxtaposition d'images copyrightées n'est pas une caricature, et encore moins un univers personnel. Y'a t'il un sens nouveau qui émerge de "l'oeuvre"?
Mais ce qui me touche le plus dans cette pratique, c'est que l'arti
ste s'octroie la reconnaissance due aux artistes anonymes qui ont dessiné et composé ces images dont la qualité iconique fait le succès visuel de ses toiles, et ce sans leur en demander la permission ni même les créditer (encore moins les rétribuer). Par ailleurs, comme beaucoup d'entre vous le savent, les artistes qui travaillent dans les comics cèdent leurs droits sur ces images à l'éditeur. Il leur est interdit d'en faire la moindre utilisation commerciales sans autorisation (posters, livres...). Il parait ubuesque qu'un autre puisse baser sa carrière sur l'exploitation de ces mêmes œuvres en invoquant le principe de la caricature (très contestable dans ce cas).
Notre travail est rude, et ridiculement mal rémunéré compte tenu du temps passé et des sacrifices occasionnés.
Pourquoi le faire alors? Peut-être juste la fierté d'être l'auteur d'une image reconnue par le public. Ce petit plaisir qui consiste à contribuer au caractère iconique d'un personnage. C'est la SEULE richesse dont dispose un artiste de comics.
Que le monde de l'art permette à des Benjamin Spark de nous en dépouiller est vraiment détestable.
"

Affaire, probablement à suivre. 

Manu
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