A une heure où Internet rend quasiment tout public, il est un droit fondamental qui souffre tous les jours, de façon plus ou moins délibérée. Plus ou moins délibérée, car on a un peu tendance à l'oublier et à se dire qu'on ne fait pas de mal : le droit d'auteur.
Si on navigue sur des centaines de sites et croisons des milliers d'images à longueur de journée, on oublie un peu d'où elles viennent et dans quelle mesure on a le droit de les utiliser. Personne n'est toujours tout blanc ou tout noir dans ce genre d'affaire, mais le monde a appris à vivre avec. Enfin, dans une certaine mesure. Car là où le droit d'auteur vient nous retoucher de plein fouet, c'est lors de l'exploitation commerciale des oeuvres incriminées.
L'art issu de la bande-dessinée, et particulièrement dans le domaine des comics, est un domaine très gris et très glissant. Si on a souvent peu de doute sur les ayants-droit des personnages de manga ou de franco-belge, le système des comics est un tout autre domaine partagé entre éditeurs, créateurs originaux et artistes. De nombreuses batailles légales ont été engagées sur le sujet, et de nombreuses autres pourraient voir le jour. Mais au-delà des droits sur la création d'un personnage, des centaines de dessinateurs sont venus dessiner Batman, Spider-Man et tous les autres grands super-héros américains. Dans quelle mesure ces dessinateurs sont-ils protégés ?
Il y a quelques années, Sean Gordon Murphy réalisait un alphabet consacré à Wolverine. Devant le succès auprès du public, il imprimait environ 200 sketchbooks pour les offrir à divers amis ou acteurs de l'industrie des comics. Tout se passait bien, jusqu'à ce que le service légal de Marvel lui tombe dessus et qu'il doive retirer les visuels de son site, et arrêter de distribuer les sketchbooks sous peine de poursuite. Il est à noter que si Sean Murphy a eu des problème, la plupart des artistes naviguent en zone grise lorsqu'ils réalisent des sketchs en convention, basés sur des personnages sous licence. La vente même de leur propres oeuvres basés sur ces personnages reste règlementée. Dans l'affaire qui va nous intéresser ci-dessous, l'artiste français Paul Renaud déclare : "Je dois demander la permission à Marvel pour utiliser mes propres dessins dans un artbook, mais ce gars peut faire ce qu'il veut avec Spidey ou Iron Man, les vendre, les imprimer, en faire des livres, sous le prétexte de la parodie ?".
Ce gars en question, c'est Benjamin Spark, artiste franco-belge au centre d'un véritable SparkGate depuis la semaine dernière.
A l'origine de l'histoire se trouvent Jérémy Briam et Laurent de la boutique Apo(k)lyps. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Jérémy est un grand amateur de comics et surtout très grand collectionneur de planches originales et de commissions d'auteurs, en plus d'être un fêlé total. Ceux qui ont trainé une ou deux fois en convention l'ont forcément croisé. Une passion qui lui vaut notamment de connaître de nombreux auteurs, et ce sera important dans la suite.
Nous avions déjà vu Jérémy et Laurent publier il y a quelques temps des travaux de Benjamin Spark, sans que cela attire particulièrement notre attention. C'est en début de semaine dernière qu'une publication très particulière a attiré notre regard :
Rien de choquant pour l'oeil lambda, c'est même plutôt pas mal. Mais pour un lecteur de comics, et particulièrement quelqu'un qui a le numéro 1 de Danger Girl: The Chase en haut de sa pile de lecture, ça sonne un peu Dan Panosian tout ça. Plutôt beaucoup même :
Mais oui, c'est exactement ça ! Quant au background, Jérémy l'avait noté avant nous, il s'agit d'une planche de Darwyn Cooke. Il ne nous en a pas fallu plus pour aller jeter un oeil au site internet de l'artiste, et découvrir son travail (vous noterez que le "Dan Panosian/Darwyn Cooke" a disparu).
D'entrée de jeu, on découvre Jim Lee, J. Scott Campbell, Frank Cho, Michael Turner [...] de bons gros noms de l'industrie, et bien d'autres encore (on vous laisse admirer ce Tumblr qui vous montre originaux et détournements). Mais le plus choquant dans l'histoire, que ce soit pour les fans ou les artistes originaux, est que chacun des tableaux, en plus de n'apporter presque rien (quelques lignes de peintures, parfois du texte), est uniquement signé de Benjamin Spark, qui ne fait JAMAIS référence aux artistes auxquels il a emprunté les dessins. Il mentionne le fait qu'il utilise des figures de la pop-culture, sans jamais avouer qu'il ne fait que récupérer des dessins tout fait qu'il va (à peine ?) customiser.
En relation avec de nombreux auteurs, Jérémy a fait tourner l'information, notamment auprès de Dan Panosian (vous vous souvenez que son détournement n'est plus sur le site ?), entraînant une réaction en chaîne de la part des auteurs. On a vu chez nous Paul Renaud ou Julien Hugonnard-Bert s'indigner, mais Panosian, J. Scott Campbell, Richard Friend et bien d'autres sont montés au créneau, prenant d'assaut la page Facebook de l'auteur. Nous ne pouvons vous rediriger vers celle-ci, puisqu'après avoir banni les plaignants, Benjamin Spark a fini par fermer sa page.
Aucune réaction de l'auteur pour le moment, si ce n'est cette brusque fermeture et la dissimulation derrière l'argument de la parodie. Légalement, nous attendons de voir ce qui va se passer, les artistes originaux étant suffisamment remontés pour se battre. Les éditeurs pourraient aussi venir se mêler du jeu, et réclamer des droits sur ces oeuvres vendues plusieurs milliers d'euros en galeries d'art. Il est à noter que les oeuvres originales étant retouchées, Benjamin Spark peut invoquer le détournement et la parodie, mais aura du mal à justifier de ne pas avoir notifié et cité les artistes originaux, ainsi que le caractère parodique de ses oeuvres. On notera comme exemple le film "La classe américaine", qui parodie de façon délibérée divers films, tout en n'oubliant pas de mentionner les sources originales.
Finissons une nouvelle fois avec une déclaration de Paul Renaud qui résume la pensée actuelle des artistes sur le sujet :
"Ce genre d'attitude me gêne profondément. Benjamin Spark dit parodier/caricaturer/
Mais ce qui me touche le plus dans cette pratique, c'est que l'artiste
s'octroie la reconnaissance due aux artistes anonymes qui ont dessiné
et composé ces images dont la qualité iconique fait le succès visuel de
ses toiles, et ce sans leur en demander la permission ni même les
créditer (encore moins les rétribuer). Par ailleurs, comme beaucoup
d'entre vous le savent, les artistes qui travaillent dans les comics
cèdent leurs droits sur ces images à l'éditeur. Il leur est interdit
d'en faire la moindre utilisation commerciales sans autorisation
(posters, livres...). Il parait ubuesque qu'un autre puisse baser sa
carrière sur l'exploitation de ces mêmes œuvres en invoquant le principe
de la caricature (très contestable dans ce cas).
Notre travail est rude, et ridiculement mal rémunéré compte tenu du temps passé et des sacrifices occasionnés.
Pourquoi le faire alors? Peut-être juste la fierté d'être l'auteur
d'une image reconnue par le public. Ce petit plaisir qui consiste à
contribuer au caractère iconique d'un personnage. C'est la SEULE
richesse dont dispose un artiste de comics.
Que le monde de l'art permette à des Benjamin Spark de nous en dépouiller est vraiment détestable."
Affaire, probablement à suivre.
09 Juin 2014
AstonishingCa me rappelle l'affaire Greg Lang, qui avait pour model tout ce qu'il pouvait trouver de photos pornos sur le net bien hardcore.
étonnant que Friend monte au créneau, aurait-il besoin de reconnaissance ? Lui qui passe derrière Finch depuis très longtemps et qui n'est seulement crédité que depuis peu.
Ils feraient bien tous de respecter leur délais ou lieu de crier au loup.
Paul Renaud à presque réussi à me faire chialer.
09 Juin 2014
Geoffrey"On notera comme exemple le film "La classe américaine", qui parodie de façon délibérée divers films, tout en n'oubliant pas de mentionner les sources originales."
Attention que cet exemple est un peu (un peu seulement) faux puisqu'il s'agit d'un travail de commande de la Warner, pour son anniversaire. D'ailleurs, La classe Américaine ne détourne que des produits Warner Bros.
06 Juin 2014
Kit_Fisto, serial reviewerQuel escroc ce mec !!!
Il se fait du blé sur les dos des artistes comics !!!
04 Juin 2014
rapgeekman0077en passant, voici mon deviant art :-) merci de ne pas plagier (je lol ) je fait des illustrasions et de la BD . c'est un niveau amateur, mais aller y jeter un oeil . http://rapgeekman.deviantart.com/
04 Juin 2014
TellakQuand même Deviant Art c'est assez connu surtout pour les gens qui ont les moyens d'acheter ses "oeuvres", car j'imagine qu'il est pas donné le coco.
Le fait de "faire à la manière de" ou "inspiré de" ne me dérange ; ça peut apporter de très belles choses que ce soit des hommages, des détournements ou des ?uvres inédites mais là ce qui est scandaleux c'est qu'il s'approprie le style d'un artiste et s'en attribue les mérites. En soit le travail de Sparks n'est pas laid mais c'est cette appropriation et l'oubli de la paternité de l'oeuvre original qui gêne et est litigieux. Surtout que comme l'a montré jeez l'argument de la parodie est bidon et on a vu Marvel, Dc et consort attaquer des gens en justice pour moins que ça
03 Juin 2014
Paul Renaud@Tellak, oui c'est sûr. Il comptait sur le fait que SON public ne pourrait pas identifier les artistes. Après, il a détourné aussi bien Campbell ou Jim Lee, que Guile, Dan Panosian, Artgem, ou n'importe quel artiste sur Deviant Art.
03 Juin 2014
Tellak"l'artiste s'octroie la reconnaissance due aux artistes anonymes" . Le problème, en tout cas pour Spark, c'est que les auteurs qu'il a détournés ne sont pas si inconnus que ça et surtout ont des styles clairement reconnaissables : il est facile d'un simple coup d'oeil de déterminer que telle donzelle a été dessiné par Campbell. Il se serait approprié des auteurs moins connus dans des éditions moins tatillonnes sur le copyright, ça aurait été plus discret mais certes moins vendeur.
Très bon édito et mention spéciale pour l'extrait de la classe américaine :)
03 Juin 2014
LiciusBon sujet, je suis loin d?être qualifié pour jugé le travail de Spark. Mais il est vrai que sa pratique est très discutable surtout s'il vend ses ?uvres sans citer les artiste qui sont derrières ni même les rémunérer. Merci Manu pour l'edito.
03 Juin 2014
Paul Renaudpour finir (juré, j'arrête de pontifier!!!), ça me fait mal de voir de jeunes artistes se donner autant de mal a apprendre humblement le dessin et la narration BD et être refoulés par les éditeurs, quand BS utilise simplement le travail des pros les plus reconnus et en tire reconnaissance et médiatisation
03 Juin 2014
Paul RenaudEt c'est très différent d'un Lichtenstein dont l'oeuvre est en elle-même un commentaire sur l'art du comics dans ce qu'il a de plus industriel et "cheap" (trames de couleurs). En le mettant en valeur agrandi sur toile, il questionne le spectateur sur la notion du code BD hors de son contexte initial. Je ne vois aucun commentaire chez BS, à part l'appropriation d'images qui ne sont pas les siennes, et leur réutilisation dans une nouvelle composition (encore une fois qui n'apporte pas de sens nouveau!).
03 Juin 2014
Paul RenaudLe problème que ça me pose aussi, c'est que ses clients aiment les toiles parce que l'image leur plait, que le(les) styles leur plaisent -on a pu lire de nombreux éloges à "son style"de dessin avant qu'il ne retire sa page FB- et que c'est une image libellée "COMICS" à un moment où la pop culture est dominée par l'imagerie comics. S'il créait ses images en évoquant le style d'un Romita, ou d'un JC Campbell sans les copier... il ne perdrait rien dans sa "démarche artistique". Il perdrait juste dramatiquement en qualité, et les gens cesseraient de trouver ça tellement beau. C'est en ça que son travail repose non pas sur sa démarche (comme il le prétend), mais bien sur la qualité des oeuvres qu'il utilise. L'attrait commercial de ses oeuvres dépend de l'attrait commercial du dessin de Campbell, Dodson, Lee, Romita...
02 Juin 2014
spectraMerci Manu, excellent sujet, très bien écrit et très intéressant, c'est chouette!!
02 Juin 2014
boofi51@sergio : Pas mal de traits sont différents, il n'y a qu'à jeter un oeil aux cheveux, t-shirt, oeil de droite... Le prob principal n'est pas tant qu'il copie mais qu'il ne cite pas les originaux et qu'il s'attribue donc le travail d'autrui. La copie en soit n'est pas mauvaise, le résultat final non plus. MAIS le/les auteur(s) est/sont plagié/plagiés(Le plagiat est une faute morale, civile, commerciale et/ou pénale consistant à copier un auteur ou créateur sans le dire, ou à fortement s'inspirer d'un modèle que l'on omet délibérément ou par négligence de désigner. Il est souvent assimilé à un vol immatériel) et clairement ça n'apporte rien à l'oeuvre d'origine et je ne comprend pas comment il peut se couvrir en utilisant le terme "parodie"... A défaut de talent, il pourrait avoir un peu d?honnêteté intellectuelle...
02 Juin 2014
ProllyJ'étais pas au courant de cette affaire, merci pour l'édito!
Ce qui me dégoutte (en dehors du plagiat évident et du manque de reconnaissance envers les auteurs originaux) c'est que sous prétexte que c'est sur une toile et qu'il recopie pas exactement tout, ça y est c'est de l'art, c'est au dessus du reste. Enfin Paul Renaud a tout résumé : il y a aucun sens nouveau qui se dégage de l'oeuvre, donc pour moi, plagiat
02 Juin 2014
RokterraJe trouve formidable qu'un mec fasse des oeuvres constituées à 80% de l'oeuvre de quelqu'un d'autre, peu importe la manière dont il la reproduit, sans même citer le nom de l'artiste original, c'est même dingue qu'on puisse comparer ça à de la parodie. Et au passage, j'aimerais beaucoup savoir où se situe la notion de "parodie" dans ces oeuvres.
02 Juin 2014
Manu@Corentin : oui Charles l'a retrouvé plus bas http://www.comicsblog.fr/6895-Roy_Fox_Lichtenstein_Heros_ou_escroc
@jeez : t'as tout dit.
02 Juin 2014
CorentinCa me fait penser aux oeuvres de Lichtenstein qui reprennaient presque trait pour trait des bulles ou planches du Golden Age des comics, avec une colo typée et des couleurs pop art. (je crois qu'on peut retrouver le lien dans le trashbag)
02 Juin 2014
jeezSelon le droit français, les droits d'auteur connaîssent certaines exceptions, notamment l'exception de parodie. Par ce biais, l'on peut reproduire des oeuvres sans autorisation de l'auteur. La parodie n'est qu'une manifestation de la liberté d'expression. Toutefois, certaines conditions doivent être réunies : la première étant qu'il s'agisse bel et bien d'une parodie c'est à dire qu'une forme d'humour soit exprimé. Il ne faut pas qu'il existe de confusion entre la parodie et l'oeuvre parodiée. Surtout la parodie ne doit être une forme d'appropriation de l'oeuvre parodiée. Je vous laisse juger, mais à mon avis, il n'y a rien de parodique dans son travail..
02 Juin 2014
erik 5Je crois que Paul Renaud à tout dit, maintenant ça m'étonnerai que des boites comme Marvel / Disney et DC / Warner se laisse spolier sans bouger. A la place de ce pauvre type qui se dit ''artiste'' je commencerai à mettre tout l'argent que j'ai volé aux vrais Artistes, dans un fond spécial pour payer mes avocats...Mon avis, c'est qu'après que les deux Big guy de l'industrie ce soit réveillés, il pourra troquer son nom de Benjamin Spark pour Benjamin le Babouin !
02 Juin 2014
darklinuxOn va voir comment va réagir Marvel & co ...car au delà du copyright , c 'est un manque de respect envers les créateurs