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Comment les producteurs choisissent les BD qu'ils veulent adapter : une discussion à trois au FIBD 2022

Comment les producteurs choisissent les BD qu'ils veulent adapter : une discussion à trois au FIBD 2022

chronique

Les adaptations de comics sont partout. Les adaptations de bande dessinée de façon générale d'ailleurs. Mais si on entend beaucoup parler de blockbusters super-héroïques ou des animés, le secteur de la bande dessinée franco-belge rayonne peut-être un peu moins (bien que l'on a pu voir au fil des années de très nombreuses BD se décliner, que ce soit en live action ou en animation). A l'occasion du récent Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, se tenait au MID (Marché International des Droits, une bulle spéciale réservée aux professionnels du milieu) une conférence portant cet intitulé : De la page à l'écran, "Do's & Don't's" - comprendre ce qu'il faut et ne pas faire. 

Un sujet pour lequel étaient présents Marc Du Pontavice, président du studio d'animation Xilam (Oggy & Les Cafards), Joey Brown, Manager IP Scouting (soit, la personne qui s'occupe d'aller chercher les bandes dessinées à adapter) pour le compte de Netflix (Millarworld, The Umbrella Academy, mais aussi le diffuseur de Lastman ou Mutafukaz), ainsi que Guillaume Golboc, directeur du développement chez Gaumont (Usagi Yojimbo). Etant présents sur place et à supposer que le sujet devrait intéresser les personnes qui visitent le site, nous vous proposons la retranscription intégrale de cette discussion à trois (quatre, en comptant l'animateur). Bien que le discours d'ensemble soit, à notre sens, un poil trop lisse (notamment du côté des réponses assez évasives de Joey Brown), quelques points d'accroches pourront vous aiguiller à comprendre comme fonctionnent les studios désireux d'adapter les bandes dessinées, quels que soient les formats. Bonne lecture !


La première question sera très simple : qu'est-ce qui intéresse en premier lieu dans une BD, quand vous avez des vues pour l'adapter ? 

MDP (Xilam) : ce qui m'intéresse, c'est la puissance du personnage, sa caractérisation et sa capacité à évoluer. 

JB (Netflix) : il faut qu'il y ait une raison qui fasse que le public continue de regarder la série. Néanmoins on trouve pas mal d’adaptation de bande dessinées qui n’ont pas forcément des personnages hyper forts. Mais le public tient autrement. 

GC (Gaumont) : d’abord, il nous faut un coup de coeur pour l’histoire, pour le ton. Ce qui importe, c'est aussi d’avoir la vision d’un scénariste ou réalisateur sur cette histoire. Je résumerai donc ainsi : c'est la combinaison de la vision d’un metteur en scène avec l’histoire de la bande dessinée en question. 


Guillaume, auriez-vous un exemple d’une BD (réputée) inadaptable ?

GC (Gaumont) : il y a des bande dessinées qui peuvent paraître inadaptables pour des raisons de budget. Mais on peut se débrouiller pour en faire moins que le support original. Par exemple, nous adaptons La Grande Odalisque, une BD de Bastien Vivès chez Dupuis. Il y a une séquence avec des motos sur la pyramide du Louvre, et des explosions : il va falloir le faire différement pour garder la tonalité de ce passage et sur la bande de filles qui sont les héroïnes de l'histoire. Il faut trouver des solutions pour garder quelque chose de réaliste par rapport au budget concret que nous aurons.

Il faut aussi dire aussi qu'aujourd'hui, la marque d’une BD/franchise peut être tentante pour aller vers l'adaptation...

JB (Netflix) : très tentante, notamment sur le fait qu'avec une marque, il y a déjà un public préexistant. Mais il faut se rappeler que le succès peut aussi venir de productions qui ne sont pas encore des franchises. 

MDP (Xilam) : la licence est un avantage d'un point de vue marketing, mais c’est aussi un piège, car la marque arrive de façon encombrante, et il y a une énorme hésitation quand on s’attaque à une licence. Par exemple, quand nos équipes ont décidé d'adapter Lucky Luke [Les Nouvelles Aventures de Lucky Luke, ndlr], elles ont pris la décision de faire 52 nouvelles histoires, totalement inédites, pour ne pas se sentir contraint par l’écriture de Goscinny. C’est une bonne chose de prendre un parti pris qui s'émancipe de la bande dessinée originale.


Il y a donc un vrai travail d’écriture qui va au delà de l’adaptation - soit une réécriture d’un univers ? 

MDP (Xilam) : il y a un moteur narratif déjà présent quand on a une marque qui s’est développée sur un grand nombre d’albums. On sait qu’on a une matière qu’on peut déjà décliner dans d’autres histoires en réutilisant les personnages. Il faut que chacun ait une puissance de caractérisation, histoire qu’on ne se lasse jamais. C’est ainsi qu’on a fait 500 épisodes sur Oggy et les cafards. Il faut décliner la confrontation d’un fort protagoniste et d’un fort antagoniste, pour réussir à capter le public. Lucky Luke tout seul est un peu ennuyeux, et on s’aperçoit que souvent dans cette forme de bande dessinée, le héros est un pivot stable autour duquel tourne un monde de folie. C’est cela qu’il faut capter.

Joey, vous êtes "scout" pour Netflix, vous allez déambuler dans le festival pour trouver un projet. Qu’est-ce qu’une plateforme telle que Netflix cherche comme genre de projets pour nourrir des millions d’abonnés ? 

JB (Netflix) : il y a tout une liste de choses différentes qui sont prises en compte. Je dirais qu’on a une approche qui fait qu’il n’y a pas qu’un seul projet qui pourrait satisfaire tous nos public. On recherche donc différents types de projets, pour nos différents publics. Notre attention se porte sur les voix et les talents locaux de chaque pays ; il faut que ce soit un peu spécifique pour chacun d’entre eux. Nous cherchons des matériaux assez spécifiques au final, pour chaque pays, même si bien sûr certains peuvent franchir les frontières. Ce n'est pas le genre d'attentes que l'on a systématiquement sur chaque projet, à moins qu'il ne s'agisse d'une IP déjà existante et très populaire.

Guillaume, chez Gaumont, comment faites vous le choix d'une adaptation en live action ou en animation ?

GC (Gaumont) : les idées viennent de partout : du scouting, de rencontres, de lectures. Nous avons en réalité plusieurs départements. Chaque division chez Gaumont connaît son marché et va s’intéresser à des sujets qui, à leur sens, pensent être bien pour elle. Par rapport au cinéma, on n'a aucune règle : on ne cherche que des coups de coeur. Ce sont des choix, des envies de sujets qui sont hyper subjectives. Bien sûr il y a des titres qui sont déjà des succès et on est donc beaucoup à vouloir les prendre, mais à chaque fois, il y aura une vision d’adaptation qui fait la différence. On ne s’interdit aucun genre chez Gaumont ; l’explosion des différentes fenêtres de diffusion [notamment les plateformes, ndlr] à permis à beaucoup de genres d’exister. L’idée est donc de profiter de ces formes là pour produire des histoires. 


MDP (Xilam) : quand je lis une BD qui m’emporte, je veux savoir si on peut extraire la dramaturgie du personnage de son support originel, car la BD est sa propre forme d’expresssion. Il y a un énorme gap d’écirture entre la BD et le cinéma. J’ai fait une expérience sur l’adaptation de BLAST par Manu Larcenet, puis au bout d’un an on a compris qu’il y a quelque chose d’indissociable de cette histoire et de la façon dont elle est racontée. Dès qu’on voulait s’en détacher, on échouait à en faire quelque chose. Il y avait quelque chose qui s’appauvrissait et je ne voyais pas ce qui pouvait rendre justice à l'oeuvre. Il y a un travail heuristique à faire quand on veut adapter une BD, car la façon dont on gère le temps n’est pas la même, le découpage n’est pas le même. Le cinéma fonctionne à l’inverse de la BD en termes de gestion du temps. 

Y a-t-il un processus d’adaptation complexe entre l'acquisition des droits et le produit final ? 

JB (Netflix) :  il y a des contrats qui peuvent être spécifiques à chaque marché, mais on essaie de gérer cette complexité en partant de nos intentions et d’aller à notre but, qui est de montrer ces oeuvres au monde entier, et ça peut passer par tous les langages possibles. Ca peut être très différent entre chaque pays, et on essaie de construire ça avec l’idée de plaire à chacun des publics. 

Auriez-vous un exemple concret de BD adaptée qui a marché (en termes de qualité), et montrer comment le développement depuis l’achat d’option a été bien mené ? 

GC (Gaumont) : on a plusieurs projets en cours de développement et je ne peux pas en parler mais voilà ce que je dirais. En fonction des auteurs de BD, on doit trouver la méthodologie pour développer l'histoire en confiance avec eux. Il faut donc bien communiquer/échanger avec l’auteur, et très tôt poser les règles. Si ceux qui adaptent ne veulent pas travailler avec l’auteur de la BD, il faut que ce soit dit très tôt et le lui dire. 

JB (Netflix) : chaque situation est différente, mais il faut établir la relation avec les créateurs originels et le réalisateur dès le départ. Au final, les meilleures adaptations sont parfois celles qui font en sorte d’être leur propre film ou série, et abandonnent un peu le matériel originel. Mais il faut faire attention à ne pas laisser le créateur en retrait. 

MDP (Xilam) : il faut un parti pris assez fort pour justifier de sortir de la BD. Il faut apporter une vision qui s’empare de la BD pour en faire un objet créatif extraordinairemnet différent, qui respecte l’intégrité et la substance de l’oeuvre, dans une forme qui sera complètement différente. Il est généralement peu recommandable de confier l’adaptation à l’auteur de la BD. Par exemple, quand j’ai rencontré Joann Sfar, il pensait que je voulais adapter une BD à lui, mais en fait je voulais qu’on développe une nouvelle histoire, et le faire en live action. On est parti d’une BD qui s’appelle Pascin, et on a fini sur Gainsbourg, mais il y avait un certain lien dans la façon de traiter le personnage. Trahir, au final, c’est s’emparer de l’oeuvre.

JB (Netflix) : d’un autre point de vue, l’une des difficultés est d’être sûr de ne pas s’aliéner les fans de l’oeuvre originelle. Il faut bien sûr poursuivre une forme de créativité destructrice dans le processus d’adaptation, mais il faut comprendre les éléments qui en font l’essentiel, ou rendent l’oeuvre spéciale à son lectorat. C’est une forme de dualité qui s’epxrime dans le processus d’adaptation. J’ai le sentiment qu’il faut essayer de préserver ce qui rend l’oeuvre unique. 


On a vu de plus en plus d’auteurs passer derrière la caméra (comme Riad Sattouf), est-ce que c’est une plus value de mettre en avant l’auteur de la BD, voire la BD, une fois qu’elle est adaptée ? Bien sûr que l’éditeur va ressortir la BD, mais comment utilisez vous ce matériel d’un point de vue marketing ? 

GC (Gaumont) : il y a plein de paramètres à prendre en compte ; si les auteurs sont fiers de l’adaptation (il faut qu’ils aient envie de le défendre), et ont envie de participer à la promotion, on crée des dispositifs où ils ont leur rôle à jouer. Quand la BD est populaire, il faut être au niveau de l’attente des fans. Si on prend une BD parce qu’elle est très lue, on part du principe que tous ceux qui l’on lu vont aller le voir. Il faut faire attention à cette base de fans qui attend de pied ferme l’adaptation. On implique les auteurs en prenant en compte tous ces paramètres. 

JB (Netflix) : l’implication directe est importante, mais de l’autre côté, pendant plein d’années, les adaptations sont arrivées alors que les auteurs avaient très peu de plateformes pour interagir avec leur public, notamment du côté des réseaux sociaux. Aujourd’hui ce n’est plus le cas donc bien sûr qu’il faut les impliquer, et aussi éviter de se les mettre à dos pour ne pas qu’ils disent à leurs fans qu’on a trahi leur matériel. Il vaut mieux avoir des conversations sur ce qu’on veut changer, et parfois même avant d’acquérir les droits de l’oeuvre (parce que s’aliéner le public c’est une chose, mais mieux vaut ne vraiment pas se mettre les auteurs à dos). 

Il y a des projets que vous signez directement avec des auteurs ?

JB (Netflix) : oui, on a toutes sortes de créateurs avec qui on travaille, et pour chacun il faut comprendre leurs désirs dans l’adaptation à chaque stade du process de travail. Je ne peux bien sûr pas en dire plus.

MDP (Xilam) : il y a des différences culturelles de ce point de vue là entre les US et l’Europe ; aux US il y a une pregnance de la TV, de l’écriture de la dramaturgie qui est tellement puissante qu’un auteur romancier/de BD peut plus naturellement passer d’un support à l’autre. En Europe c’est à mon sens un peu diférent, même si ça évolue : on sent cette capacité s’affirmer chez les jeunes auteurs. Je pense qu’il faut surtout bâtir de la confiance au départ. 

De nombreuses BD sont adaptées en live action plutôt qu’animation. A quel moment se fait le choix et en quoi c’est potentiellement plus intéressant ? 

MDP (Xilam) : c'est une question de marchés. il y a une pluralité de marchés qui fait qu’on a plus de choix alors que pendant longtemps les idées sur l’animation ont restreint le champ d’application au registre familial ou comique. En live action, le gap esthétique est gigantesque par rapport à la BD, avec un jeu d’acteur qui implique une complexité importante sur les personnages ; la notion même de photographie est une différence fondamentale. En fait il y a plus de libertés quand on adapte en prise de vue réelles, donc le spectateur ne se sentira pas floué par rapport à l’imaginaire qu’il a vu dans la bande dessinée. En animation c’est plus complexe car il y a un vrai cousinage dans l’esthétique entre l’animation et le dessin ; ça paraît plus évident, mais en fait c’est beaucoup plus contraignant, car on est tenu à une forme de fidélité... mais il faut aussi trahir, car dans le dessin c’est la pose qui fait la force du personnage, alors qu’en animation c’est le mouvement. 

JB (Netflix) : parfois la décision se fait sur des contraintes financières ou les challenges que pourrait poser l’adaptation en live action. C’est par exemple bien plus facile d’imaginer adapter Ghost World en live action plutôt que disons, un travail de Moebius qui demanderait des moyens gigantesques. Et dans ce cas, l’animation pourrait mieux préserver l’univers plutôt que tout ce que des ordinateurs pourraient générer; C’est aussi quelque chose à prendre en compte quand on choisit entre l’animation et le live action. 

GC (Gaumont) : quand on fait une adaptation de BD, ça va dans une de nos divisions, et si on sent que ça ne va pas pour l’une, on la fait circuler, parfois en France et à l’étranger (car nous avons des filiales dans d’autre pays) : c'est donc un travail de scouting internalisé. Il y a peut-être d’autres manières de faire l’histoire en interne si jamais l'adaptation ne correspond pas à l'un des départements.


La dernière question portait sur les projets futurs de chacun, sur laquelle tout le monde a préféré jouer la discrétion, à l'exception de Mard Du Pontavice qui a révélé être au travail sur une adaptation en série animée de l'excellent Retour à la Terre de Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri, expliquant la difficulté de transposer des strips de quelques cases en épisodes, même pour du format court. Et si ce projet est complètement en dehors de notre ligne éditoriale, il y a de quoi être enthousiaste ! En espérant que le reste de la discussion vous a intéressé(e) également !


Arno Kikoo
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