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Go Woke Go Broke : le grand mensonge des réacs de la pop culture

Go Woke Go Broke : le grand mensonge des réacs de la pop culture

chronique

"Go woke, go broke". 

Vous avez peut-être déjà entendu cette expression, en particulier si vous vous intéressez à la culture pop' moderne. L'adage, devenu très populaire depuis quelques années au sein des mouvances conservatrices, réactionnaires ou dans les sensibilités d'extrême-droite présentes un peu partout dans les fandoms et les sphères culturelles, trouve dans le milieu des comics une origine facile à retracer. C'est sous le label d'un "mouvement" baptisé Comicsgate que bon nombre de réactionnaires (faute de meilleur qualificatif) tentent de mener la bataille contre toute forme de mise en avant de thématiques relatives à l'inclusivité ou à la mise en avant de minorités précises - ou tout autre message qualifié de "woke" dans le jargon politique des étiquettes faciles - en particulier dans les séries éditées par DC Comics et Marvel. La sphère des super-héros populaires endure ces contestations depuis un certain temps, avec différents arguments opposés et différentes nomenclatures d'opposition ("politiquement correct", "SJW", "snowflakes", "agenda politique", etc).

Le débat se résume assez simplement : l'idée dominante au sein de ces argumentaires de contestation voudrait que les messages engagés pour la mise en avant de sexualités opérant en dehors de la norme dominante ou des couleurs de peau non-caucasiennes causeraient une série de dommages aux personnages établis depuis l'origine même des super-héros. Voire plus largement, participerait à détruire l'industrie dans son ensemble (une paranoïa relativement absurde compte tenue de la santé du milieu, malgré le contexte pandémique actuel). 

L'adage "go woke, go broke" est surtout utilisé sur la base d'un hypothétique dommage financier : généralement, un comics où serait mis en scène un personnage ou des thèmes qualifiés comme appartenant au champ lexical de "la gauche" se retrouve ciblé. Souvent, les équipes créatives sont aussi harcelées dans la foulée (Sina Grace, Chelsea Cain, etc). On expliquera alors que le comics en question ne se vend pas, et que c'est donc bien la preuve que la "propagande wokiste" contre-produit. Pour aller au-delà de l'idée, somme toute facile à démonter, qui voudrait que les comics n'étaient pas politiques ou chargés de revendications avant 2017 (Black Panther, les X-Men, Ultimate, Superman, Wonder Woman, Midnighter, etc, sont autant de preuves du contraire), l'idée sous-jacente attribue au "wokisme", un terme abscons désormais passé dans le langage des députés de l'assemblée nationale (délirant), la mauvaise santé du marché des comics.

Bon. Il faudra sans doute, un jour, revenir sur le fait que l'industrie américaine (comme française) ne connaît pas de crise des ventes réelles, et que ce n'est pas parce que le secteur des single issues a effectivement du mal à se renouveler qu'il en va de même pour tout le reste du secteur de l'édition de BDs. Mais, aujourd'hui, revenons plutôt sur le cas particulier du : pourquoi ce "go woke go broke" est en réalité, comme beaucoup d'illusions idéologiques nées dans le champ intellectuel de l'extrême-droite, un simple mensonge, un détournement de la réalité pour essayer de poser un narratif militant biaisé et profondément antiprogressiste. 

Pour ce faire, prenons l'exemple de la série récente Superman : Son of Kal-El. Le titre de Tom Taylor avait fait la une au mois d'octobre dernier, lorsque DC Comics et l'auteur avaient officialisé la bisexualité du personnage de Jon Kent, le petit héros en tête d'affiche de cette parution. Le sujet avait (évidemment) percé au-delà des sphères spécialisées comics pour causer l'habituel tollé qui motive les rédactions de médias généralistes à jeter un occasionnel coup d'oeil sur ce secteur (qu'ils se refusent d'ordinaire à côtoyer). Aux Etats-Unis, Fox News était bien évidemment de la partie pour se jeter dessus, crier au scandale, crier à l'opportunisme, la destruction de nos valeurs communes, etc. Les médias de droite et d'extrême droite tels que Valeur Actuelles, Le Figaro ou CNews ont suivi tête baissée, depuis la France, cette opportunité de générer du trafic et d'accompagner une nouvelle forme d'appels au clic - basée sur la mise en avant de brèves censée provoquer la colère ou l'agacement d'une partie du public. Une intéressante dichotomie, de la part de cette famille de médias qui se plaint généralement de "l'importation de discours américains" sur le sol français, et qui assument dans le même temps de reprendre la ligne éditoriale et l'idéologie politique de rédactions soutenues par le fameux Parti Républicain aux Etats-Unis. Autre donnée amusante : à l'instar de bon nombre de comicsgaters, plus intéressés par la guerre culturelle que par la culture elle-même, la polémique vue en France a surtout été relayée par des personnes qui, compte tenu des réalités locales sur la quantité de lecteurs réelle, n'ont jamais mis le nez dans un comics de leur vie. Surtout pas pour une série aussi récente. 

Toujours est-il que récemment, un site de comics penchant ouvertement vers l'extrême-droite s'est fendu d'une tribune pour expliquer que le titre Superman : Son of Kal-El était un four absolu. Les ventes auraient été catastrophiques, et vous voyez bien, DC Comics, que la poursuite de ces idéologies favorables aux LGBT+ et militantes pour d'autres causes du présent (parce que non content d'être bisexuel, Jon Kent, à dix-sept ans, est aussi un activiste qui entend mettre ses pouvoirs au service de la lutte contre la crise climatique - ce qui n'a rien d'étonnant pour un Superman de son âge, mais passons) vous mènera à la ruine. Un argumentaire fondamentalement fallacieux et erroné (la preuve en images), mais qui n'a pas empêché l'article d'être repris sans discernement par bon nombre de vidéastes habitués à faire leur beurre, littéralement, sur des vidéos pleurnicheuses sur les fameux "comics woke" (alors qu'ils en font au final une grosse promotion)... jusqu'à arriver dans des médias américains généralistes, et sur Valeurs Actuelles / CNews. Prenons à titre d'exemple l'article publié par ces-derniers - le texte a l'avantage  d'être clairement rédigé par quelqu'un qui n'a jamais vu de single issue de sa vie. 

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Que nous dit le texte ? Grosso modo, l'argumentation du "go woke go broke" tient en deux temps. D'une part, Jon Kent, ce satané Superman bien trop engagé politiquement, a vu ses ventes baisser en comparaison des précédentes relances de Superman au numéro #1. Le wokisme a donc forcément tout cassé les chiffres de ventes. D'autre part, Superman : Son of Kal-El #5 (qui est le numéro du coming-out de Jon) a beau avoir été dans le top dix des comics les plus vendus en novembre 2021, le numéro suivant est complètement absent du top cinquante de décembre. C'est donc bien que le lectorat a immédiatement détesté ce coming-out, et que la série ne se vend plus. Dans les deux cas, des affirmations qui ne se traduisent pas dans les chiffres, ou dans le rapport comparatif réel sur une étude du marché plus approfondie. Une théorie accompagnée d'un argumentaire (stupide), dont la malhonnêteté ne surprendra personne. Regardons tout cela.

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1. Il est stupide de comparer entre eux des relaunches sans les contextualiser

Léger point de rappel si vous n'êtes pas au fait du fonctionnement du marché des comics aux Etats-Unis : le format de base de publication de ces bande dessinées est ce qu'on appelle le single issue, un fascicule d'une vingtaine ou d'une trentaine de pages en moyenne. Les séries dédiées aux super-héros sont en général publiées au rythme d'un single issue par mois, et ce sur de très longues périodes - du moins, c'était bel et bien le cas auparavant. Depuis quelques années, on assiste souvent au sein des Big Two (DC et Marvel) à une prolifération de que l'on appelle communément les "relaunches" : ils consistent à relancer une série au numéro #1, de façon à avoir un joli "numéro de début" (une "porte d'entrée"), mais aussi parce que le #1 attire les collectionneurs, les spéculateurs, et que les éditeurs peuvent se livrer à quelques artifices commerciaux pour doper les ventes de ces numéros. Des méthodes qui n'ont rien de neuf, et ont même failli causer l'effondrement du marché lors de la décennie 1990. Avec le temps, DC Comics et Marvel ont appris à ruser, en jouant sur des logiques différentes pour maintenir l'effet de poussée du numéro #1, suivi d'une érosion assez rapide sur les mois suivants.

En général, le stratagème le plus simple est de produire une certaine quantité de couvertures variantes pour ces premiers numéros- autrement dit, une couverture différente de celle censée servir de façade à l'édition "normale". Parfois, le tirage limité de ces variantes leur confère une certaine rareté, ou impose à une librairie spécialisée de commander parfois une quantité précise d'exemplaires normaux pour obtenir une couverture variante. Vous voyez déjà ici que la technique permet d'augmenter très rapidement le nombre de commandes. 

Certaines couvertures sont aussi réservées à des librairies précises sur la base d'accords de commande du même genre - en l'occurrence, tout le monde s'y retrouve, mais l'effet est le même. Imaginez dès lors ce qu'il peut se passer quand on se retrouve avec, mettons, trente-sept couvertures variantes. On peut gonfler de façon très artificielle les ventes d'un premier numéro, et il est apparaît donc déjà très biaisé de vouloir comparer des relaunches entre eux puisque ce seul paramètre du nombre de variantes peut entraîner une différence significative. Sans oublier le facteur spéculatif, une chimère difficile à comprendre ou interpréter qui repose sur l'achat de premières éditions de nouvelles séries, censées prendre de la valeur dans le temps. 

Dans le texte de CNews (ou dans l'argumentation habituelle du Comicsgate), la comparaison s'opère entre le lancement de Superman : Son of Kal-El #1 avec les précédents relaunches consacrés au personnage. Une méthode plus malhonnête encore, qui voudrait inclure Superman #1 de 2011 et le Superman #1 de 2016, puisque ces deux-là font partie d'un ensemble éditorial bien plus massif, des opérations de relaunches globaux à l'échelle de l'ensemble du catalogue de la maison DC Comics. Dans le premier cas, cette période porte un nom : les "New 52", une opération d'annulation partielle de toute l'histoire précédent l'apparition de cet événement pour fournir une porte d'entrée universelle sur n'importe quel personnage. Largement médiatisée, celle-ci était un fait inédit à l'échelle de DC, comme à l'échelle de toute l'industrie, et de nombreux personnages avaient à l'époque battu leurs propres records de ventes antérieurs.

L'autre Superman #1 de 2016 s'inscrit de son côté dans une autre séquence, dite "Rebirth". Comprendre que l'intérêt général pour ces opérations spectaculaires a forcément dopé toutes les ventes sur les mois de sorties concernés, et que ces lancements étaient donc sans commune mesure avec Son of Kal-El #1 - qui est arrivé de son côté en plein été, seulement cinq mois après le démarrage de "Infinite Frontier", et au termes d'années de "relaunches" successifs qui auront, dans l'esprit du lectorat, fragilisé l'importance de ces numéros #1, devenus plus habituels, plus routiniers, et donc moins spectaculaires à force de renouvellements. Egalement, pour être encore plus juste, il serait bien de s'intéresser au dernier lancement dans lequel Jon Kent était le personnage principal d'une série - puisque les précédents relaunches de Superman concernaient son père, Clark Kent, figure de proue de DC Comics et icone créée il y a plus de 80 ans, tandis que Jon n'existe que depuis 2016. Ce titre là, il s'agit de Super Sons, qui était sorti en 2017, alors que Jon avait pu gagner en popularité grâce à la série Superman de 2016, aux côtés du papa.

Comparer des données brutes de ventes d'un premier numéro sur la base de plusieurs relaunches n'a donc aucune pertinence : le contexte de sortie est à resituer pour bien savoir de quoi l'on parle, et le cas Jon Kent, au vu de son évolution entre 2017 et 2021 (l'auteur Brian M. Bendis l'a effectivement fait grandir en accéléré, alors que c'était la version enfant du héros qui était la plus populaire auprès du lectorat et des critiques, pour son partenariat avec Damian Wayne, le fils de Batman) oblige à prendre en compte tous ces détails de la mécanique éditoriale réelle. Alors, certes, ces chiffres pris à nu restent vrais : Superman : Son of Kal-El #1 s'est écoulé à 38 000 exemplaires dans les librairies spécialisées, contre 97 000 pour Super Sons #1 et 130 000 pour Superman #1 (2018). Sauf que la sortie de ce numéro a eu lieu plusieurs mois avant l'annonce du fameux coming-out : il n'y a donc aucun rapport avec l'argument "woke" avancé par CNews. Le public venait alors, simplement, acheter une nouvelle série sur le fils de Superman, décousue de toute polémique frontale. On pourra toujours discuter de l'habitude conservatrice ou de l'attachement du lectorat aux grandes figures tutélaires de DC Comics plutôt qu'à leurs remplaçants, généralement moins porteurs - mais c'est encore un autre sujet, encore que d'autres cas de personnages récents seraient là-encore intéressants à analyser pour former un argus de comparaison. Passons au point suivant.

2. L'attrition des lecteurs sur Superman : Son of Kal-El est en réalité tout à fait normale

En se basant sur la presse anglophone, et sans chercher à comprendre le fonctionnement du marché comics aux Etats-Unis, CNews nous explique ensuite qu'après un numéro #1 écoulé à 68 000 exemplaires, Superman : Son of Kal-El #3 aurait dramatiquement plongé, avec un modeste score de 34 000 exemplaires vendus. Le phénomène touche en réalité une part majoritaire des comics édités en mensuel : les ventes du numéro #1 sont toujours extrêmement plus importantes que celles des numéros suivants. Ce principe d'attrition ou d'érosion naturelle se forme sur une mécanique quasi-systématique : une baisse des ventes au fil du temps, car les lecteurs suivent une série de façon régulière plus ou moins longtemps. Pas besoin d'aligner un bac plus dix en mécanique quantique pour comprendre le phénomène - la même logique suit l'audimat de séries télévisées après la diffusion du pilote, ou de saisons en saisons.

Cette logique de baisse, qui motive justement les éditeurs à arrêter des séries de plus en plus tôt et à multiplier les relaunches pour minimiser l'attrition sur de courtes périodes, est d'autant plus importante pour les numéros #1 qui ont bénéficié d'une forte couverture médiatique et des artifices d'aide à la vente mentionnés plus haut. Prenons l'exemple de King Spawn #1 qui avait, cet été, aligné un ensemble cumulé de 479 000 exemplaires. Lorsque l'on se penche sur les chiffres du second numéro, celui-ci ne totalise "plus" que 75 120 exemplaires écoulés, soit une chute de 84%. Personne n'a toutefois accusé King Spawn de s'être ramassé ou d'avoir paumé le lectorat sur la base de son contenu narratif ou idéologique - d'abord, parce qu'un single vendu à 75 000 exemplaires reste un single qui s'est très bien vendu, en particulier pour un titre édité en dehors du catalogue de DC Comics ou de Marvel. Mais surtout, parce que cette attrition est normale. En général, une série régulière trouve son rythme de croisière et sa moyenne de grandeur après quatre ou cinq numéros, sauf évènement particulier (comme pour Son of Kal-El, on y revient après). Ce qu'il faut comprendre, c'est que dire qu'un titre ne marche pas parce que ses ventes déclinent à partir du premier numéro n'est pas recevable. C'est tout simplement le cas pour tous les comics publiés à de très rares exceptions près. 

Mais comme un argument ne saurait mieux s'appuyer que sur des données chiffrées, je me suis amusé à aller regarder, puisqu'ils sont disponibles sur la très bonne base de données de Comichron, les chiffres de vente des trois premiers numéros des précédents relaunches (donc Superman (2016) et Superman (2018), ainsi que de Super Sons qui était le précédent titre "solo" pour Jon Kent). Après avoir repris ces chiffres, j'ai calculé le pourcentage de baisse des ventes entre la sortie de chaque numéro, et il en résulte le tableau suivant.

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Ce que l'on constate, comme expliqué plus haut, c'est que le Superman de 2016 ne peut pas être comparé aux autres titres : il faisait partie d'une initiative globale, Rebirth, et le rythme de publication bimensuel (deux fois par mois) a imposé une fréquence d'achat soutenue aux lecteurs, qui explique que ceux-ci sont restés fidèles au début, avec des baisses de ventes à seulement -3, -4%. En revanche, ce que l'on observe pour les trois autres titres listés, c'est que l'attrition entre les sorties des deux premiers numéros, ou entre le #2 et le #3 est sensiblement, si ce n'est exactement la même. La baisse de ce Superman : Son of Kal-El a suivi la même courbe que le Superman de Bendis ou que Super Sons, que personne n'avait accusé d'être woke. Que doit-on comprendre ? Tout simplement que les réactionaires américains (et leur portevoix francophone, incapable d'aller plus loin qu'un bête processus de traduction automatique au service d'un discours politiquement orienté) essaient de monter en épingle un phénomène tout à fait banal, pour pouvoir servir un discours antiprogressiste, lubie d'une partie nauséabonde d'une partie lectorat des comics depuis plusieurs années. Encore que ceux-ci ne sont pas la cible de l'article. 

L'objectif évident est plutôt de dénigrer un mouvement plus général dans le secteur contemporain des arts et lettres : la contestation du dogme des héros caucasiens et hétéronormés d'hier, en reflet d'une prise de conscience globale sur la responsabilité des oeuvres de fiction. Or, quoi de mieux que de taper directement au portefeuille - histoire de rappeler aux huiles et aux financiers susceptibles de valider des projets équivalents en France que le risque économique est réel, et que la transition leur coûterait cher. On peut dire ce que l'on veut sur la qualité de ce Son of Kal-El, regretter que le personnage soit devenu adulte trop vite, et être en accord ou non avec l'écriture de Tom Taylor, mais la question n'est pas là. Sur la base des chiffres de ventes, y a-t-il quelque chose d'anormal dans l'érosion des ventes de Son of Kal-El après son premier numéro ? Quelque chose susceptible de qualifier un rejet éventuel du lectorat vis-à-vis de sujets de société ? Non. C'est une non-actualité. 

3. Superman : Son of Kal-El #6 n'est pas dans le Top 50 de décembre 2021... car il n'est pas sorti en décembre 2021

On en arrive donc au dernier point, qui n'est pas forcément souligné par l'article de CNews, mais qui se trouve sur l'un des sites américains d'origine : Superman : Son of Kal-El #5 a profité de l'effet d'annonce du coming-out de Jon Kent pour gonfler ses ventes, mais le titre a complètement été boycotté après. La preuve avancée ? En se reposant sur le suivi proposé par un autre site réputé, IvC2, on constate que Superman : Son of Kal-El #5 se hisse à la sixième place du top cinquante des comics sortis en novembre 2021, alors que le suivant, Superman : Son of Kal-El #6, s'est tellement peu vendu qu'il ne figure même pas dans le top cinquante de décembre 2021. C'est donc forcément que le lectorat a rejeté le titre de Tom Taylor parce qu'il ne veut pas entendre parler de bisexualité ou de militantisme climatique... non ? 

Sauf qu'encore une fois, la réalité est bien plus simple à élucider. Si Superman : Son of Kal-El #6 n'apparaît pas dans les hauteurs des ventes de décembre 2021... c'est parce qu'il n'est pas sorti en décembre 2021. Tout simplement. Puisqu'il a été publié le 4 janvier 2022. C'est à dire qu'ici, on ne se trouve même plus dans une interprétation faussée ou biaisée de tableaux et de chiffres : on développe un argumentaire sur une réalité qui n'existe pas, sur un mensonge. Alors qu'une vérification de cette sorte ne prend que deux minutes. Et devrait entrer dans la logique normale d'un travail journalistique basique, élémentaire. S'il fallait encore faire la preuve de la médiocrité intellectuelle de ces discours, la voici. Là, à la vue de tous. Mais, combien de gens iront d'eux même contester la véracité de ces données, en particulier pour un public qui ne saura même pas où aller regarder.

Par ailleurs, il y a quelque chose de tout à fait intéressant sur les numéros de Superman : Son of Kal-El qui ont précédé l'annonce du coming-out. Toujours selon les tableaux de Comichrone, on se rend compte en effet que le #3 était en soixante-dix septième place du top cent le mois de sa sortie, tandis que le #4 remonte en soixante-cinquième position. Or Superman : Son of Kal-El #4 est sorti une semaine avant l'annonce du coming-out, à un moment où les commandes n'étaient plus modifiables. Le numéro n'a donc pas profité d'un effet d'annonce - c'est mécaniquement l'intérêt pour le titre de Tom Taylor qui avait commencé à gagner en intensité auparavant. Un fait à noter, qui va à l'inverse du discours que tentent de vendre les théoriciens de la contre-vérité, mais qu'ils auront soigneusement évité de mentionner.

En définitive : des lecteurs (?) beaucoup trop aigris tentent de faire croire qu'un titre dégringole dans les ventes à cause d'un contenu progressiste en a) faisant des comparaisons qui n'ont pas de pertinence, b) en montant en épingle un phénomène tout à fait normal et c) en fantasmant une sortie qui n'a pas eu lieu. 

Le résultat d'années de désinformation, laissée sans vérifications, sans "fact checking" dès lors qu'il s'attaque à des sujets de niche, et qui reste pratiqué au quotidien par les adversaires du changement ou de la prise de conscience. De la même façon qu'on trouvera quantité de brèves mensongères ou détournées sur la "cancel culture", un flux discursif pour mettre en avant des faits d'actualité décousus de tout contexte pour appuyer les thèses de politiciens en quête d'élection ou de réélection. En parallèle, les campagnes menées par la frangine puritaine des Républicains aux Etats-Unis pour faire disparaître des cursus scolaires d'autres oeuvres jugées "militantes" ou positionnées sur des thèmes propres à la revendication LGBT+ ne captive pas l'attention des médias d'extrême-droite, pourtant lancés dans une campagne auto-proclamée contre la censure et pour la vérité. 

La culture a l'avantage du nombre : peu de gens lisent les comics, peu de gens se documentent sur les données concrètes à l'ombre des forums et des vidéos faussement documentées d'agitateurs politiques en quête de non-faits pour appuyer leurs thèses personnelles. D'autres articles et d'autres exemples sont à faire de cette problématique (réelle) de manipulation des faits - pendant que les autorités responsables de l'attribution des cartes de presse continuent de faire l'autruche, encore et encore. Ces "affaires" montées de toute pièce sont délétères pour tout le monde, et le temps investi à démontrer factuellement les erreurs de ces discours finit par fatiguer - ce dont ces personnes sont parfaitement au courant. Plus que jamais, il est nécessaire de ne pas laisser le commentaire de la pop culture aux mains de personnes qui veulent, tout simplement, en priver l'accès à des catégories de personnes données. 

Arno Kikoo
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