A mesure qu'approche la sortie du film Joker de Todd Phillips, les débats sur la responsabilité du cinéma auront pris une nouvelle tournure aux Etats-Unis, motivés par le cas très réel du tueur James Holmes, auteur d'une tuerie de masse dans la ville d'Aurora, Colorado. L'homme était passé à l'acte pendant une projection du Dark Knight Rises de Christopher Nolan, les cheveux teints en orange, et revendiquant, d'après une partie de la presse, s'être inspiré du Joker de Heath Ledger dans le précédent film de cette trilogie. La police n'aura cependant jamais confirmé cette affirmation.
Loin d'exiger l'interdiction du projet ou d'appeler au boycott, celles-ci auront simplement demandé à ce que le studio s'engage dans le soutien aux victimes de fusillades et leur entourage, ou à ce que WarnerMedia, au global, ne participe plus aux campagnes de réélections de politiciens favorables au Second Amendement. Le studio a depuis publié un communiqué officiel de réponse, assurant, entre autres, que Joker n'est pas une lettre d'amour adressée aux tueurs de masse.
"La violence des armes à feu est un problème majeur de notre société, et nous joignons à ce message notre sympathie et notre soutien aux familles de victimes concernées par ce type de tragédies. Notre entreprise a, depuis longtemps, participé aux levées de fonds en soutien à ces familles, y compris dans le cas de la tuerie d'Aurora, et, encore très récemment, la société-mère de Warner Bros. s'est associée à différentes autres entreprises de point pour appeler les politiciens des tous bords à mettre en place une législation permettant de contenir cette épidémie.
Dans le même temps, notre conviction est que les raconteurs d'histoire ont pour devoir de provoquer des conversations, parfois difficiles, autour de problèmes complexes. Que personne ne s'y trompe : ni le personnage fictif du Joker, ni le film ne constituent une forme de soutien à la violence du monde réel. L'intention du film, du cinéaste, des équipes de production et du studio n'est pas de présenter ce personnage comme un héros."
Une déclaration claire, qui revient une fois encore sur la différence entre montrer et cautionner. Un débat vieux comme le monde dans la fiction, longtemps même avant l'apparition du cinéma, et particulièrement vif depuis ces dernières années où la responsabilisation des images sera devenu un sujet central dans de sociétés de plus en plus divisées, ou de plus en plus laxistes avec certains comportements violents ou extrêmes.
Sur le plan des faits, au-delà du consortium WarnerMedia (qui intègre, pour rappel, Warner Bros., HBO et Turner), la société-mère du groupe, AT&T, demeure dans une zone grise sur le plan de la politique des armes à feu. De longue date, ce géant des télécommunications aura souvent été jugé en ennemi par la National Riffle Association, principal pivot politique des défenseurs du Second Amendement : en 2013, la NRA listait AT&T dans sa liste des 494 entreprises identifiées comme "anti-armes", et, quelques années plus tard, le groupe avait été l'un des seuls à répondre au mouvement Moms Demand Action for Gun Sense in America en expliquant que la chaîne NRA TV n'avait jamais été proposée dans les bouquets télévisuels du diffuseur.
Politiquement, cependant,
AT&T ne se sera jamais caché de sa neutralité vis-à-vis des levées de fonds ou campagnes de soutien aux politiciens dans la fédération des Etats-Unis, justifiant, via leur site web, que "tout candidat susceptible d'aider les activités de l'entreprise et ses actionnaires est éligible pour recevoir un soutien financier". D'après diverses sources, la compagnie aurait récemment participé à la campagne de la candidate démocrate
Kamala Harris, en faveur d'un contrôle plus strict du port d'arme et d'un durcissement des condition d'accès aux armes à feu. La bataille juridique
entre AT&T et Donald Trump de ces dernières années irait aussi en faveur du groupe, qui aura tout de même soutenu plusieurs candidats pro-armes à différents degrés d'importance ces dernières années.
La ligne de défense de Warner Bros. semble avoir été, de son côté, distribuée aux équipes de Joker. Après avoir interrompu une interview auprès du Telegraph pour consulter ses équipes, et décider de quelle réponse apporter à cette question particulière, Joaquin Phoenix se sera de son côté exprimé dans les colonnes d'IGN pour donner sa version des faits.
"Je pense que la plupart d'entre nous est capable de faire la différence entre le bien et le mal. Pour d'autres, il est facile d'interpréter tout et n'importe quoi comme ils l'entendent. Il y a des gens qui font de fausses interprétations sur des paroles de chanson. Qui se trompent en lisant de travers un passage de roman. Donc je ne pense que la responsabilité du cinéaste soit d'apprendre au spectateur la moralité de son oeuvre, ou d'expliquer au spectateur où se situent le bien et le mal. Je veux dire, à mes yeux, c'est quelque chose d'évident.
La vérité, c'est qu'on ne peut jamais savoir ce qui va être l'élément déclencheur. Et c'est peut-être ça la question, c'est peut-être à ce moment là qu'on peut se la poser. Mais je ne pense pas qu'on puisse appréhender la vie en se disant 'je ne peux pas me permettre de poser ces questions, au risque de générer quelque chose de mauvais chez quelqu'un'. Ce n'est pas ce que je demanderais aux gens de faire, en tout cas."
Joker est prévu pour le 9 octobre dans nos salles.