En ce printemps 2019, il est donné l'occasion aux lecteurs VF de poursuivre l'aventure Scott Snyder du côté de DC Comics. Le scénariste phare de l'éditeur à deux lettres ne se sera jamais contenté de ses écrits sur Batman et aura proposé de mener la barque de ses plus grands héros, quoiqu'essaie de faire Geoff Johns de son côté. Après un event Batman Metal aussi riche qu'indigeste et un No Justice dont on aura préféré ne pas parler ici (vraiment : ne perdez pas votre temps), la reprise de Justice League par l'auteur permet de se réintéresser à l'équipe. Même si tout n'est pas parfait.
Comprendre qu'avec ce New Justice tome 1, c'est une nouvelle ère qui s'ouvre, faisant plutôt fi des aventures passées dans la série mère (d'où l'idée pertinente du nouveau nom chez Urban Comics, afin d'en faire la distinction) pour se concentrer sur ce que Snyder a bâti précédemment. Suite directe de Batman Metal et No Justice, l'ouvrage nécessitera d'avoir plutôt lu le premier ouvrage plutôt que le second, simple intermède qui ne servait qu'à "ouvrir le Mur Source" afin de laisser à l'auteur ce qu'il sait faire de mieux chez DC : briser les limites, aller à l'aventure, et faire un travail de création au delà de ce que l'on croyait possible.
Avec son premier arc baptisé La Totalité, Scott Snyder reprend en effet de sa folie des grandeurs, avec un morceau du Mur Source, qui donne son nom à l'ouvrage, débarquant sur Terre. La Ligue de Justice ne sait pas si cette force est bonne ou mauvaise, et va aller à sa rencontre alors qu'un Lex Luthor redevenu fraîchement (très) méchant monte sa propre Légion Fatale pour s'en emparer également, à de plus sombres desseins. Un gigantesque affrontement s'opère en simultané, dans un ensemble d'endroits divers et variés (qu'il s'agisse d'espace, de temps, d'échelle de taille), et faisant intervenir un grand panel de personnages DC. Le scénariste a en effet agrandi les rangs de l'équipe pour cette histoire, avec l'inclusion de Hawkgirl et Martian Manhunter (revenu au cours de Metal), de quoi donner une vibe Justice League Unlimited qui ne sera pas déplaisante.
Cette richesse se retrouve aussi dans les concepts développés par Snyder, qui dans son habitude propre, ne peut s'empêcher de donner dans l'effet "bigger, stronger". Ainsi, puisque l'idée de l'auteur est d'ouvrir des frontières et de proposer des choses qui n'existaient pas auparavant, New Justice aborde pelle mêle un ensemble de sept nouvelles forces, liées à la fameuse Totalité - comme un Force Statique qui vient s'opposer à la Force Véloce, ou un nouveau Corps d'anneaux, qui utilise le Spectre Invisible émotionnel. En ajoutant à ceci des considérations tribales, anciennes, ainsi qu'un jargon pseudo-scientifique très soutenu (pour essayer d'expliquer rationnellement comment fonctionnent des choses qui n'existent pas, tout un concept), il va sans dire qu'on aura l'impression d'une lourdeur. Riche en situations bizarres et baroques (Batman pilote un vaisseau au sein du système sanguin de Superman, par exemple), New Justice invite bien au voyage, mais attention à la fatigue. Cela étant dit, le tout se révèle moins indigeste qu'un Metal, même si on en ressent encore les stigmates.
Là où la donne change, c'est que Scott Snyder ne fait pas que vouloir réinventer, mais compose avec des éléments plus classiques de ce que le lectorat de DC Comics a l'habitude de voir. In fine, l'opposition entre les héros et vilains reste un élément classique du genre, et c'est un certain plaisir qu'on a à retrouver Lex Luthor en vrai super-vilain, aux commandes d'une troupe d'affreux personnages - avec quelques retournements de situation perchés, qui ont le mérite de surprendre. Dans l'ensemble, l'effet de divertissement est là, mais c'est surtout grâce à la qualité graphique de cet album qu'on met de côté les quelques errances du scénario (dans un premier tome à neuf numéros, qui augure d'une lecture copieuse).
On retrouve en effet sur deux numéros Jim Cheung, sur un autre Doug Mahnke, et sur le reste Jorge Jiménez. Si l'on se ravit de retrouver l'ancien artiste superstar de Marvel faire du Justice League, avec un trait identifiable en tous, c'est véritablement la performance de Jimenez qui scotche. Son style assez proche de l'animation, voire du manga, brille à la fois dans le dessin que par les compositions des planches de l'artiste, qui n'hésite pas à donner dans des impressions de découpages et collages pour faire ressortir les éléments qui l'intéressent sur une planche. Le trait est franchement beau, l'artiste ne lésine pas sur les dessins, et c'est avec virtuosité qu'il passe d'un personnage à un autre (ils sont vraiment nombreux) avec une certaine aisance pour les mises en scènes même les plus complexes. Un régal de bout en bout, et clairement la plus value qui fait que l'on mérite de s'attarder sur New Justice.
Notons également, comme bien souvent, la qualité de l'édition chez Urban Comics qui nous propose en fin d'ouvrage l'habituelle galerie de couvertures alternatives, en nombre important cette fois, que l'on se plaît toujours à feuilleter, ne serait-ce que pour les travaux de Mark Brooks, Ben Oliver, ou l'ensemble des variantes signées Jim Lee. Un petit bonus de fin qui se laisse apprécier.
Si vous avez été allergique au style de Snyder et à sa volonté de vouloir toujours en faire plus, méfiez-vous, New Justice a encore de ces relents. Malgré tout, l'auteur se donne du mal pour une histoire qui ne fait pas qu'inventer de nouvelles choses, mais utilise plutôt bien de nombreux personnages, héros comme vilains, pour une histoire qui monte haut dans les enjeux, et s'offre une somptueuse partie artistique, qui donne enfin à un titre Justice League l'aura qu'on lui cherchait depuis quelques années. Pour un démarrage, c'est franchement concluant - ne reste qu'à espérer que la suite ira croissante sur le plan narratif.