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Tom Strong tome 1 : Un surhomme différent pour le nouveau millénaire

Tom Strong tome 1 : Un surhomme différent pour le nouveau millénaire

ReviewUrban
On a aimé• Rythmé, riche, inventif
• Un contrepoint au cynisme de Moore sur certaines oeuvres passées
• Accessible mais sur plusieurs niveaux
• L'imagerie pulp, merveilleuse
On a moins aimé• La variété des artistes en fin de volume pourra dérouter certains
• C'est tout
Notre note

Il y a presque vingt ans (moyennant les quelques jours qui nous séparent encore de la nouvelle année), Alan Moore entamait une dernière croisade pour l'indépendance en fondant au sein de l'entreprise WildStorm son propre petit imprint, America's Best Comics. Pour beaucoup, cette aventure en particulier sera la dernière désillusion de l'auteur vis a vis de l'industrie de la bande-dessinée pensée par les Américains. Pour d'autres, il s'agira aussi de la dernière source de chefs d'oeuvres attribuée à ce scénariste (incontournable), qui n'aura cessé de se tarir depuis.

En 1999, tout le monde a les yeux rivés sur le nouveau millénaire qui s'annonce. Certains choisiront de regarder vers l'avant, à l'image de Mark Millar sur The Authority, et d'autres comme Alan Moore ou Warren Ellis et son Planetary, profiteront de cette opportunité pour regarder rétrospectivement d'où est parti tout cet imaginaire de héros en costumes qui les aura poussé vers l'art séquentiel. D'une certaine façon, Tom Strong est une réponse à trois niveaux aux grandes questions que devaient se poser certains auteurs de l'époque : d'où sont partis les comics, de quoi les comics ont ils besoin après les années 1990 et l'avènement du Dark Age, et pour Moore en particulier, comment continuer à écrire sur les surhommes après avoir brisé leur idéal optimiste pendant une partie de sa vie ?
 

 
Tom Strong est la réponse donnée par Alan Moore, en compagnie de Chris Prouse dans les pages d'America's Best Comics. L'un de ses travaux les plus optimistes, comme si lui-même cherchait à rendre à l'art du super-héros la magie et la naïveté, volontairement illusoire, de ses premiers âges. A ce titre, il propose lui aussi une réponse à l'ouverture d'un troisième millénaire, avec un personnage centenaire qui aura traversé le XXème siècle du début à la fin, porté par l'idéal du bien commun et du progrès scientifique. 
 
Tom Strong naît en effet en 1900, élevé par des aborigènes et poussé vers le "pouvoir de la science". Une idée contre la mythification fantastique des héros en costume, tirant souvent vers un idéal religieux ou messianique - si Strong a bien la tête d'un sauveur, il est en revanche quelqu'un de particulièrement pragmatique. Un savant, colossal, bon sous tout rapport et inspiré par la figure bronzée de Doc Savage, dans des aventures qui partent de jungles vers des ruines, de combats de robots ou de voyages temporels,entre des influences cherchant vers les mêmes serials qui inspireront la création d'Indiana Jones, en passant par Jules Verne, Edgar Rice Burroughs et toute une tradition d'évolution des comics. Ce premier volume ne cherche pas nécessairement à établir un arc de long terme ou à combattre une organisation maléfique sur plusieurs décennies - l'idée est plutôt d'épouser un format épisodique où l'aventure, le besoin de raconter une histoire contenue, prédomine. L'ensemble est général enthousiaste dans un esprit de tendre nostalgie. 
 
A ce titre, le héros recoupe avec une tradition des premiers temps des comics, un héros familial avec femme, enfant, sidekick robotique et animalier, et Tom Strong se présente autant comme un héros providentiel que comme un père de famille bon et lumineux. Son immense connaissance des domaines scientifiques ou sa capacité à triompher de tout en font le contrepoint d'un Dr Manhattan dans la posture du sauveur érudit préférant s'éloigner du genre humain - à l'inverse, Strong est un héros sans grands traumatismes ou qui ne remet jamais le bien fondé de ses luttes. Certaines prises de positions contre la religion ou l'adoration de mythes fanatisés jalonnent d'ailleurs le volume, comme d'habitude riche de plusieurs niveaux de lectures.
 

 
L'époque obligeant - et le style de Moore justifiant - l'on retrouve également quantité de références à l'histoire des comics. Partis d'une origin story de revues illustrées à une iconographie de monstres du Silver Age, l'ensemble baigne néanmoins dans le même esprit art déco' et les architectures des années '30 à '50, de grandes cités parcourues de monorails et de dirigeables à la Metropolis d'une ère révolue. On retrouve des emprunts (nombreux) à Fawcett ou Archie Comics, de par la seule constante de ce héros familial et doté d'un esprit léger dans la tradition du héros souriant, avec des réminiscences de Kirby dans certains concepts, l'emploi d'un multivers ou la fréquence de voyages dans le temps. Même Captain Carrot est au programme. C'est dire.
 
A l'image de Top 10, Strong est surtout l'énième pièce d'un vaste puzzle qu'Alan Moore aura brisé au moment de Watchmen. Une déconstruction tendant à être rebâtie sous d'autres perspectives : avec cette bande-dessinée, le scénariste explique ce qu'aurait pu être l'histoire des comics s'ils n'avaient pas pris la route du Dark Age et s'étaient contentés de baigner dans le même idéal utopique ou naïf du Silver Age et de cet esprit généralement tourné vers l'enfance ou la légèreté en premier leitmotiv. Ce qui ne l'empêche pas d'aborder de réels sujets, ou de décrire un monde dans lequel un surhomme bienveillant aurait été capable d'améliorer les choses, mais sans avoir recours à son procédé de cassure de l'innocence qui engendrera plus tard la mort de cet esprit poussiéreux. A l'image de son travail sur Supreme avec Rob Liefeld, un hommage à l'époque où Superman affrontait des aliens à grosse tête et voyageait dans le temps comme on va à la boulangerie. 
 
 
 
Le volume est aussi un contrepoint intéressant au vaporeux Promethea, parution frangine qui explore de son côté la thématique magique chère à l'oeuvre de Moore dans ces années "serpent ailé", et parfaitement accessibles pour les petits comme les grands. On pourrait décrire Tom Strong comme "le comics d'Alan Moore que vous pouvez faire lire à votre gosse de dix ans", un décalque séquentiel à mi-chemin entre John Carter, Doc Savage, le Rocketeer, Indiana Jones et toute l'oeuvre de Verne depuis De la Terre à la Lune ou Voyage au Centre de la Terre. La variété et le rythme des numéros qui bouclent ce premier volume sont aussi une preuve de la richesse qu'aborde l'auteur, entouré de plusieurs artistes par-delà Chris Sprouse, le co-créateur.
 
A son sujet, on pourra noter comme souvent que ce style de la fin des années 2000 a été bien choisi pour un comics entre deux âges, et fait très joliment le boulot pour véhiculer l'esprit de Tom Strong sur le plan graphique. Le second volume risque cependant d'être un rien plus décousu, attendu que Moore aura abandonné l'écriture après le rachat d'ABC par DC Comics - autant, donc, savourer ce tome là en particulier.
 
Si Alan Moore est surtout connu comme le père intransigeant d'une façon de penser la BD comme le véhicule d'idéaux philosophiques précis, au sortir de la décennie 1990 et après avoir contemplé l'héritage de ses oeuvres, il choisira de revenir en arrière vers quelque chose de différent. Quelque chose de plus léger, de plus accessible, et qui traduise en fait la possibilité d'une autre voie pour les comics de super-héros que celle que l'Histoire les aura vu emprunter. Un volume superbement écrit, riche et bien mis en scène, qui accompagne Top 10 dans ces lectures que l'on peut faire de l'oeuvre d'un colosse bon dans tous les genres, et qu'il nous fait plaisir de redécouvrir, quelque vingt ans plus tard. 
 
Corentin
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