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Joe Shuster : élégant portrait d'un rêve américain bafoué

Joe Shuster : élégant portrait d'un rêve américain bafoué

ReviewUrban
On a aimé• Une aventure profondément humaine
• Le travail de recherche, documenté
• La prestation formidable de Thomas Campi
• Un propos encore bien actuel
On a moins aimé• Les experts connaissent sûrement déjà le tout (mais bon, hein)
Notre note

En dehors de ses collections dédiées aux parutions DC Comics et à l'indé', Urban Comics compte également sur Urban Graphics, un ensemble éditorial fait pour mettre en avant des oeuvre dont la stature ou dont l'approche mérite qu'on y accorde une attention toute particulière, ou un soin éditorial plus fin. Ce qui n'enlève rien aux autres sorties des collections plus classiques, mais des oeuvres comme A.D. After Death, Comment aborder les filles en soirée ou Charlie Chan Hock Chye trouvent là une certaine aura, que le nouveau venu Joe Shuster : un rêve américain de Julian Voloj et Thomas Campi possède également.

Comme vous l'aurez deviné à l'intitulé, Joe Shuster se propose de revenir sur l'histoire de la moitié du binôme qui a créé Superman. Et qu'on ne s'y trompe pas, si c'est le point de vue de Shuster qui est adopté dans tout l'ouvrage, le récit nous parle en vérité de son duo avec Jerry Siegel, et peut-être même plus de ce-dernier. Un récit biographique qui déroule une histoire passionnante, assez connue généralement pour qui s'intéresse un minimum à l'histoire de son médium préféré, et qui est certainement plus accessible qu'une page wikipédia ou un long essai - quoique chaque format ait ses avantages et ses inconvénients.


Ici, le travail de Julia Voloj est assez exemplaire, dans ce qu'il montre de Siegel et Shuster, de leur façon d'aborder l'industrie. Le volume raconte l'histoire de deux personnes parties de rien et qui ont réussi à créer un personnage qui modifiera à jamais une forme d'art toute entière, sans parler des retombées dans la culture populaire au symbole du fameux blason. L'auteur n'aborde pas les faits de façon romancée, mais se contente de les rapporter tels qu'ils sont - ou du moins, telles que les nombreuses traces écrites (présentées en fin de volume dans une série de notes explicatives bienvenues) - avec une certaine pudeur, une économie d'effets. Le sous-titre de l'album, "Un rêve américain" relève plus d'une ironie douce-amère (ou aigre-douce ? Ça se dit ? Ou c'est juste pour le porc sauté ?). 

D'un côté, il y a l'histoire de la création de l'Homme d'Acier. D'une rencontre entre un dessinateur ambitieux, et dont le talent se reconnaît déjà, et d'un un scénariste passionné de science-fiction. De diverses tentatives non fructueuses pour être publié dans l'un ou l'autre magazine, de l'émanation de concepts qui s'affinent au fil des mois... Si l'expert sera forcément habitué à voir les faits qui lui sont présentés, le profane (ou celui qui n'a pas meilleure mémoire) peut voir à quel point le processus pour mener à Superman, et sa première apparition dans Action Comics #1, aura été loin d'une success story à l'américaine, contrairement à ce que la mémoire sélective des éditeurs aime généralement vanter dans les documentaires (propagandistes) de DC Comics

Double ironie dans ce rêve américain en effet, puisque la seconde partie, voire deux tiers de l'ouvrage, s'évertuera à montrer la terrible injustice dont Shuster et Siegel auront souffert de la part de leur éditeur, National. Les droits de la propriété intellectuelle étant ce qu'ils sont à l'époque, l'histoire vire au drame : la société d'édition garde les bénéfices, les créateurs sont laissés pour compte, puisque, pour pallier à leurs précarités mutuelles, ils auront accepté de céder la totalité de leurs droits créatifs pour la somme grotesque de 130$.


Une injustice dont l'amertume s'accentue au fil des pages. A mesure que Shuster tente malgré tout de travailler et d'aller de l'avant, persuadé que ses nombreuses tentatives de défendre ses droits sont vouées à l'échec, tandis que Jerry Siegel n'en démordra jamais - et finira par obtenir gain de cause. L'histoire des comics est parsemée d'exemple de ces injustices, terribles, il est d'ailleurs presque ironique que ceux qui sont à l'origine même du genre super-héros soient aussi les premiers exemples d'auteurs floués par un éditeur gourmand, cruel, et procédurier. Ce comics Joe Shuster, à l'image du très bon Bill the Boy Wonder, fait partie de ces récits essentiel qui mettent en avant l'histoire qui n'a rien d'une anecdote, et qualifie aussi tous ces créateurs qui ont été oubliés par les générations d'après. Des cas qui interpellent toujours, à une époque où la situation des scénaristes et dessinateurs est encore un véritable casse tête en termes de droits sociaux fondamentaux. 

Mais si Bill the Boy Wonder était plus économe, Joe Shuster embrasse pleinement le support BD, avec l'artiste Thomas Campi qui livre une performance somme toute excellente du début à la fin. Le dessinateur prend le parti de proposer la majorité de ses planches en mettant directement en couleurs, à la peinture, ses dessins (on peut supposer que les crayonnés sont à peine esquissés), en opposition aux scènes d'ouverture et de conclusion qui bénéficient d'un trait encré. Le résultat est à savourer à chacune des planches, puisque le trait à la peinture bénéficie d'un certain soin, autant pour représenter les personnages que pour les décors, qui sont d'un réalisme juste et saisissant à la fois. Les villes, les intérieurs, les décors permettent de faire revivre cette ambiance propre aux US en pleine évolution au cours du XXe siècle. 

Thomas Campi est également doué dans l'approche historique qu'il accorde aux différentes créations de Shuster, le dessinateur, et n'hésite pas à reprendre des dessins d'époques, voire à imiter le style desdits dessins, pour coller à ce que le papa de Superman réalisait aux premiers temps de l'âge d'or. Un mélange de tons qui, s'il dénote par rapport au style en peinture général, apporte un cachet certain, une forme de sceau d'authenticité, accentuant le côté biographique et le sérieux avec lequel le sujet a été traité. On voyage donc dans une autre époque, on apprend à (ré)-apprécier un style qui, factuellement, a bien vieilli, et l'impression de voyage prédomine jusqu'à la fin.

Joe Shuster est donc à la fois ouvrage artistique et pédagogique, une leçon d'histoire sous une forme attrayante (qu'on se le dise : le livre, en tant qu'objet, est vraiment beau) et qui semble ne sacrifier que peu dans le traitement de l'information par rapport à sa forme narrative, sans céder au dessin ou à l'envie de romancer les choses, la stricte et dure réalité des faits. Une lecture à la fois instructive, nécessaire, un regard vers un passé difficile et qui rappelle que les auteurs et artistes de l'industrie du comicbook n'ont pas toujours été les superstars que l'on connaît aujourd'hui - c'est encore le cas pour certain, et qu'une certaine considération pour ces piliers de l'industrie est essentielle, afin d'apprécier la production moderne pour ce qu'elle est : l'héritage de ce que ces personnes, telles que Joe Shuster et Jerry Siegel, ont bâti.

Vous pouvez commander Joe Shuster : un rêve américain chez notre partenaire à ce lien.

Arno Kikoo
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