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The Authority Tome 2, ou les années déconne d'un jeune Millar énervé

The Authority Tome 2, ou les années déconne d'un jeune Millar énervé

ReviewUrban
On a aimé• Mark Millar en roue libre
• Le super-héros politique des années '90
• Un vrai message sur la transition d'un siècle à l'autre
• Violent, drôle, décomplexé
• L'anticipation de Jupiter's Legacy
On a moins aimé• Millar en fait parfois trop
• Des dessins qui vieillissent parfois douloureusement
• Le segment Tom Peyer, dispensable
Notre note
A l'image de Warren Ellis, Mark Millar est un auteur de périodes. Il est possible d'isoler des grands segments, des genres, des styles d'écritures dans sa palette comme pour la plupart des talents venus d'Angleterre, d'Ecosse ou d'Irlande dans les comics américains. Mais là où Ellis pioche ses réflexions et sa vision des sociétés dans la boulimie intellectuelle d'un fou dévoreur de bouquins et de sagesses disparues, Millar est moins littéraire. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas intelligent - loin de là. Moins frénétique sur la consommation de caractères d'imprimerie, l'Ecossais ressemblerait plus à un gosse surdoué et un peu sadique qui aurait appris tout ce qu'il sait du monde en regardant la télé' en continu, jusqu'à avoir compris ce qu'il avait envie de comprendre.
 
Il fait aussi partie de cette école de rebelles contre l'idéologie américaine. La même école que ceux qui ont placardé avant lui l'idée que le super-héros devait être politique, que l'époque des années '80 et '90 ne pouvait plus échapper à cette élévation vers le haut. La différence est que, comme Garth Ennis, l'auteur de Kick Ass est aussi un admirateur des codes du Nouveau Monde. Ses héros à grande gueule et à gros flingues qui citent Dirty Harry et bottent le cul des méchants - parce que c'est cool - en n'oubliant pas qu'ils opèrent dans un monde injuste fait de puissants planqués, de stars de cinémas et où l'argent et le sexe ont leur mot à dire. 
 
La rébellion de Mark Millar était à l'époque inspirée par son compagnonnage avec Grant Morrison (qui l'a formé) et l'admiration de ses pairs. Mais, c'était davantage la rébellion d'un jeune con qui trouve marrant de blaguer sur Hitler et de trouver son avantage - matériel - à être un génie rebelle qui envoie tout valdinguer. Une sorte d'anarchiste qui sait comment utiliser ce dont il se moque. Et il est important de garder cette longue intro' en tête quand on aborde une oeuvre comme The Authority.

Le Dernier Pilier de WildStorm


 
Urban Comics continue d'accompagner toute une époque (perdue) avec le second volume de The Authority. Une série qui fait suite à Stormwatch et à l'esprit de WildStorm, le meilleur élève du désert culturel qu'auront traversé les comics Image dans les années 1990. A l'époque, tout le monde est en rébellion, en réaction : une poignée d'artistes ont quitté les Big Two et créent des héros "contre" les figures déjà installées. Planetary, par exemple, est une autre de ces déconstructions proposées par Warren Ellis de l'histoire des comics. 
 
A son niveau, même Spawn est une sorte de réaction épidermique aux héros en vigueur - inspiré par Spider-Man, Batman, ses pouvoirs sont décrits par McFarlane comme un meilleur Superman que Superman", puisqu'ils sont en quantité limitée et donc, moins gratuits ou absolus que ceux de l'ennuyeux héros en bleu. Rob Liefeld s'y met lui-aussi, et toute l'industrie sent dans cette décennie le besoin de renouveler en profondeur les choses, quitte à en faire trop. Quitte aussi à briser des colonnes vertébrales ou condamner au trépas ceux qui étaient là avant.
 
Les auteurs anglais participeront au mouvement, et l'imprint WildStorm lancé par Jim Lee sera une belle maison d'accueil pour des plumes aussi importantes que celle de Moore et nombre de ses compatriotes. L'idée est que, après avoir brûlé le Bronze Age qui avait commencé à installer l'idée que le surhomme devait s'associer à des thématiques sociales, on pouvait désormais être beaucoup plus frontal et aller chercher dans les figures héroïques ce qu'elles avaient toujours été sans l'admettre : des vecteurs d'idées politisées. Une vaste cour de récré' et une tribune de poids pour des auteurs souvent rebelles dans une décennie cynique qui se méfie de l'autorité, avant le grand retour du nationalisme cru dans l'après 11 septembre.
 
 
 
The Authority marche à fond dans ces traces. C'est une de ces nombreuses séries très violentes, très ancrées dans leur temps. On autorise (enfin) les héros à s'intégrer dans un monde qui remet en question la neutralité, la gestion du monde, les conflits géopolitiques. On autorise aussi les personnages à jurer, à avoir une vie sexuelle, à être des figures sombres ou meurtrières, et la violence graphique (souvent gratuite) est un sujet récurrent. C'est à cette époque que Mark Millar, qui traverse une jolie suite de réussites, fait ses armes dans un WildStorm occupé par DC. Il va déverser dans son run tout ce qu'il aime et ce qui l'accompagnera plus tard - jusque dans la merveilleuse Jupiter's Legacy tout récemment. Beaucoup de cynisme, beaucoup de bonnes idées, et aussi beaucoup de gratuité voire de vulgarité par endroits.
 
On est ici en face d'une série d'auteur - avec tout ce que ça suscite de clivant pour ceux qui n'accrochent pas au délire. En résumé, une bande de surhommes inspirés par les héros DC Comics en grande partie se déclare au-dessus des lois et prend sur elle de corriger les défaillances de la Terre et de ses états. Quitte à passer par dessus les Nations Unies, et assumer enfin cette posture de fasciste bienveillant qu'on aura toujours fait miroiter autour de Superman sans jamais oser la concrétiser.

Un monde cru, un monde cruel


 
Dès le premier arc, Millar pose ses idées. Contre un monde parsemé d'imperfections et d'injustices, contre le statu quo que l'Occident juge bon de maintenir en place depuis des décennies. Laisser les dictateurs régir des pays sans intervenir, laisser le monde aller mal au prétexte que cela a toujours été ainsi. L'auteur développe un propos plutôt intéressant sur l'époque à laquelle il écrit ses pages : la transition du XXème au XXIème siècle et tous les espoirs que certains plaçaient dans ce changement, ce nouvel ordre mondial qui s'annonçait.
 
A ce titre, certains passages sont étonnants de pertinence encore aujourd'hui. Sur l'homophobie latente, l'invasion de la Tchétchénie par les Russes, le capitalisme et le star system, et les puissants qui manipulent le monde politique dans l'ombre à coups de financements de campagnes électorales. Un brûlot intelligent et surtout, ludique, puisque Millar s'amuse à rendre son propos distrayant, fun, violent et complètement décomplexé. Aucune route tortueuse ou subtile n'est empruntée ici bas, tout est évident et posé telle des vérités amères desquelles on se moque dans l'esprit punk qui caractérise toute cette école d'écriture britonne dans laquelle il s'inscrit. 
 
Ses héros ne sont pas forcément dramatiques ou préchi-précha. Il les rend cools, bagarreurs, sexuellement actifs, parfois ostentatoires. On pourra (largement) reprocher à l'auteur d'en faire trop dans ce domaine : pour rendre son utilisation des surhommes agréable et pas torturés ou sombres, il épaissit un trait déjà assez gras. Jemenfoutiste. Presque gratuit par moments, en assumant que tout ça insulte parfois de bêtes règles de cohérences sacrifiées sur l'autel du cool, de la punchline bien placée ou de l'explosion de tête au moment opportun. La traduction proposée par Urban ne fait d'ailleurs aucune concession au langage épais de l'auteur ou à ses références sur la culture pop qu'on sent parfois forcées pour accentuer l'effet.
 
L'ensemble fonctionne mine de rien assez bien mais on ne peut pas s'empêcher de trouver énormément de foutoir dans l'exercice. Comme si lui-même n'avait pas envie de choisir entre la simple élucubration violente et la série réellement sérieuse, réellement politique. Loin de la subtilité d'un Planetary (c'est normal), on sent que l'auteur n'a pas encore l'expérience qu'il aura pour traiter des mêmes sujets avec énormément de finesse dans Jupiter's Legacy. Si vous avez lu et apprécié cette lecture, d'ailleurs, son passage sur The Authority est vraiment à voir comme le brouillon de ce travail futur, avec des enjeux moins familiaux mais tout aussi énervés. Le principal reproche qu'on lui fera tiendra dans les personnages féminins, un problème immense des années WildStorm, mais sur lequel Millar se permet une ou deux idées vraiment déplacées - qu'on qualifiera d'étranges pour être vraiment super sympas.

Les comics avant/après


 
Comme énormément de séries de WildStorm, Millar profite aussi de la digestion des années Dark Age. Le premier vilain à apparaître dans le volume est un auteur de comics - véritablement, c'est aussi simple que ça. Associé à un esprit paranoïaque sur la C.I.A. et la Guerre Froide, le scénariste présente un petit personnage à l'esprit vif mais désespéré qui espère sauver le monde en influençant les mentalités. Il a à sa disposition une arme simple : toute une armée de surhommes décalqués des héros Marvel, des Vengeurs parodiques, des X-Men de pacotille que Millar s'amuse à exploser joyeusement.
 
Mais passé cette première approche où on pourrait d'emblée reprocher au scénario d'être gratuitement parodique, ou de répéter le côté cynique de Kick Ass ou Wanted sur le fait de rester chez soi à lire des BD, ici il choisit de ne pas prendre parti. En vérité, un des constats de ce volume est que les choses ne sont pas forcément blanches ou noires, et que derrière son envie de voir des têtes voler et de placer des bonnes blagues, Mark Millar est capable de faire preuve d'empathie envers tout ce dont il se moque. Les comics eux mêmes, mais aussi leurs personnages, les super-héros, tous les concepts bizarres qui vont avec, et l'état du monde.
 
Le personnage le plus intéressant qu'il utilise pour se mettre en scène est évidemment Jack Hawksmoor, leader de l'équipe, idéaliste et rebelle, comme lui. Plus impatient de voir le monde se démerder tout seul, prêt à s'en foutre de l'opinion des gens, comme lui. Et matérialiste aussi : une scène assez intéressante quand on connaît le scénariste est celle où le Midnighter rend visite à Jack dans sa propriété de Los Angeles. Une grande maison, avec une jolie voiture garée dans l'allée. Curieuse habitude pour un héros qu'on imaginerait accroché à des signes de richesse moins ostentatoires, et pourtant lui-même s'en défend : en substance, on peut très bien être de gauche et aimer le pognon. C'est à peu près le fond de son message dont il ne cherche pas à s'excuser, et quand on regarde la carrière ultérieure du scénariste, cette déclaration paraît presque une prédiction de ce qu'il s'apprête à construire chez Marvel et dans le Millarworld.
 
Le problème étant que ce double discours devient vite difficile à aborder, puisque les fans de l'école anglaise du scénario reprocheront à Millar d'être trop américain, tandis que les fans de comics violents et actionners lui reprocheront d'être trop politisés. On renoue avec les contradictions de ce fascinant personnage qui énerve autant qu'il séduit, et n'avait pas à l'époque à soigner son image comme il le fera plus tard sur des séries plus calmes et plus marketing. Il est ici encore jeune et plein de cette identité qu'il forgera au fil de ses travaux, mais déjà talentueux et suffisamment marqué dans le style pour que l'oeuvre s'apprécie pour peu qu'on aime les comics d'auteur, à placer dans une continuité de travaux.

En résumé ?


 
En résumé, il est difficile d'évoquer des points précis sur une publication de plus de quatre-cent pages. Le conseil le plus simple à donner reviendrait à dire qu'il faut de toutes façons s'intéresser aux séries WildStorm, si vous aimez les comics et tout ce qu'ils peuvent porter comme témoignages de telle ou telle époque. On a souvent cité Vertigo comme figure de proue de ce mouvement des oeuvres d'auteur, avant qu'Image ne se réinvente bien plus tard pour enfoncer le clou, et bien sur, on a eu tout à fait raison. Mais DC Comics n'avait pas que Karen Berger et ses oeuvres plus littéraires, plus mystiques ou plus cadrées pour porter ce message là.
 
Il y avait aussi WildStorm et son héritage de héros musculeux, sexualisés et éventuellement grotesques pour certains. WildStorm qui a fait une place à Warren Ellis, Garth Ennis, Kurt Busiek et autres auteurs indispensables, sans oublier bien sur le merveilleux appareil America's Best Comics d'Alan Moore. Mais plus que de bonnes mini-séries isolées, on trouve aussi ces parutions super-héroïques dans le canon pour témoigner de ce que le surhomme était à l'époque, après des décennies à grandir vers un lectorat d'adultes et aussi plus las de la bonhomie de Superman ou d'un Tisseur incapable de payer son loyer. Quelque part, il est d'autant plus intéressant de lire des Authority ou Planetary aujourd'hui pour se rendre compte de ce qui a (et n'a pas) changé quand les années 1900 sont devenues les années 2000.
 
Cette parution est dans ce goût là, elle peut même se passer d'avoir lu le premier volume si vous êtes plus clients d'un auteur plutôt que l'autre (vous devriez vous en sortir avec la préface et quelques recherches encyclopédiques). Pour les fans du Mark Millar des débuts, celui qui place des idéaux et des jurons dans la bouche de personnages hors normes, en totale roue libre et qui regarde avec amusement l'histoire d'un medium qu'il adore et méprise parfois, The Authority est une vraie bonne lecture. 
 
Comme le premier film d'un cinéaste qu'on aime bien, où se ressentent les maladresses mais où la liberté et la fougue des premiers pas passent d'autant mieux qu'on ressent ici l'absence totale de contrôle éditorial. Plus intéressant encore si vous êtes fans des travaux de ce genre, à mettre par exemple en parallèle avec la Trilogie du Surhomme de Warren Ellis édité par Hi Comics, même mélange de vision politisée, de violence et de cynisme gratuit arrivé en VF depuis peu.
 
En revanche tout n'est pas forcément à retenir dans la partie de Tom Peyer et Dustin Nguyen. Le duo assure la transition dans l'arc le plus faible du volume sur quelques numéros compilés, une véritable baisse de régime que Millar reprend en main sur la fin. Côté dessins, si de jolis noms se promènent çà et là le souci est surtout, comme énormément de séries WildStorm un équilibre très, très poussiéreux. A l'époque (dite du dessinateur roi), un certain laisser aller et une surproduction générale auront grandement nivelé par le bas les découpages et la générosité dans les couleurs.
 
Le Frank Quitely de l'époque n'est évidemment pas le maître vu à l'oeuvre sur Jupiter ou Multiversity. Déjà excellent, ses pages sont cependant moins inventives et se heurtent parfois à des fonds désespérément vides passé les premiers numéros. Nguyen est de son côté plutôt paresseux. Le côté arrondi et cartoon d'Arthur Adams est peut-être l'un des plus généreux (curieusement) et l'ensemble se laisse feuilleter sans jamais décrocher la rétine de stupeur ni d'admiration.
 

 
Voilà en résumé ce qu'est The Authority : un témoignage du passé, d'une époque qui aura été fondamentale à la réinvention des comics de super-héros. La passation de pouvoir de l'esprit Image des débuts à mesure que DC digère WildStorm et en récupère les talents, ou bien un moment T de la carrière de Mark Millar à laquelle il était finalement plus optimiste ou moins commerçant que ce qu'il deviendra après son passage chez son Marvel. Les angles sont nombreux mais on peut globalement résumer le tout à un joli moment de l'histoire des comics, riche, drôle, intéressant et en un sens toujours actuel.
Corentin
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