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JLA/Doom Patrol Special #1, quand le crossover se fait méta et (trop) riche

JLA/Doom Patrol Special #1, quand le crossover se fait méta et (trop) riche

ReviewDc Comics
On a aimé• Avalanche d'idées en pagaille
• Coloré, beau, dynamique
• Le quatrième mur est en miettes
• Une lecture intéressante à plusieurs degrés
On a moins aimé• Trop rapide et désordonné
• On en voudrait plus
• Un véritable produit de niche qui risque de perdre certains
Notre note

La voilà ! La rencontre de Young Animal et du DC Proper. Dans certaines habitudes de rencontres de ce genre, on s'attend à quelque chose de plutôt lisse, mais c'est bien le style Gerard Way qui l'emporte ici sur l'envie d'être poli ou fidèle aux codes de l'univers principal - à se demander d'ailleurs quel rôle joue Steve Orlando, aussi crédité à l'écriture. On entre donc de plein-pied dans un arc où la Doom Patrol est aux commandes, dans un numéro qui apparaîtra aux lecteurs classiques comme l'étrangeté méta-fictive que l'imprint-hommage aux grandes heures de Morrison vend habituellement. Parlons d'abord de Retconn, petite société immobilière spécialisée dans la vente de réalités.


On avait découvert cette compagnie fictive dans les numéros récents de la Doom Patrol. Ici, Retconn essaye de vendre Earth-Prime au vil Lord Manga Khan, un personnage souvent tourné en ridicule dans la continuité. Cependant, cet investisseur zélé n'entend pas mettre ses billes dans le foisonnant bazar qu'est cette réalité où des héros rebelles n'épousent pas ses codes de bon voisinage, mais tout va bien : la compagnie a la solution, replier les règles du réel sur un cahier de commande précis, en utilisant pour se faire un lait issu de vaches psychiques surpuissantes. Vous voyez, jusque là, tout va très bien.
 
En somme, Retconn se présente donc comme une société de vente et de travaux, qui remet un quartier à neuf avant de le céder à un riche actif immobilier. Sauf que, dans le cas présent, c'est de la Terre de nos héros préférés qu'il s'agit, et par un choix qui nous ferait dire que le bon Manga Khan, dont le style a toujours plus ou moins évoqué le ridicule des vilains d'une époque (très) reculée, est nostalgique des année 1950. Sa commande de réalité est plus propre, plus lisse, plus apple pie et plus guindée que jamais. A travers le lait, se refaçonne un monde des bonnes mœurs de l'Amérique dorée, la Justice League of America devient la Community League of Rhode Island, dans une déconstruction où même ce bon vieux Lobo ne jure plus, pudiquement.
 
L'hommage passe aussi par les dialogues, les tenues, les couleurs pastels du voisinage. De son côté, la Doom Patrol dans son écriture, ses couleurs, son vocabulaire, ou le sens général de leurs aventures où l'absurde est souvent présent, rappelle le Silver Age. Une ère qui avait aussi des codes de pudeur morale stricts, mais se définissait surtout par sa capacité de tous les possibles, totalement déconnectée de toute idée de cohérence ou de réalisme. C'est dans ce terreau que certains auront tiré certaines de leurs meilleures idées, depuis Zur-En-Arrh jusqu'à la pieuvre de Watchmen. En bon élève des codes, Way applique cette sauce de parodie/hommage avec brio : le mélange prend, et répond à ce retour au Golden Age du côté des héros de la Ligue avec pertinence. L'ensemble devient cependant vite indigeste pour qui n'a pas l'habitude de cet absurde qui va vite, très vite, trop vite souvent, et ne se laisse aucune place pour respirer.


Le numéro est en effet très dense - et ne se pose jamais, même pour apprécier ses propres idées. On aimerait creuser cette Community League, critiquer indirectement le Golden Age, ou aller plus loin dans la mythologie qu'il développe. Prenons un exemple, sans trop en dire : Retconn, quoi qu'elle s'intéresse d'abord à l'argent, est dotée d'une technologie métaphysique de pointe. La société explique à Manga Khan que tous les super-héros connus sont des dérivés (ou des dérivés de dérivés) de trois concepts initiaux : BatmanSuperman et Wonder Woman, et que donc, n'importe qui peut copier, imiter, s'inspirer de ces modèles. Way va plus loin en développant un pan théologique sur le Dieu de la Justice, qui aurait créé ces trois premiers modèles de pensée, intemporels. 
 
On trouve même un hommage au Major Nelson, fondateur de DC Comics dans les pages, là encore survolé - de manière très générale, le numéro est brillant dans son aspect méta. C'est l'une des énormes forces de la série Doom Patrol, excellente élève du run de Grant Morrison depuis ses débuts. Un auteur plus fier - ou peut-être plus expansif - se serait posé un instant sur cette idée de la Trinité comme référence ultime de tous les super-héros, histoire de s'applaudir de son génie et de sa pertinence (si vous avez pensé "Snyder", bravo, vous avez gagné l'énorme nounours en peluche de notre tombola) mais ce n'est pas le cas de Way. Ce dernier survole, et se contente de théoriser comment Retconn a parodié Superman - comme des millions d'auteurs l'ont fait dans le monde réel - pour créer le Milkman. Et, c'est à peu près tout, pourtant l'idée seule aurait pu presque être le sujet d'un arc entier.


En somme, on ne sait pas si on est ici en face d'un hyperactif de la création, qui se fout de développer trop en avant ses idées une fois posées sur la table, ou bien face à un immense paresseux. Ce numéro est généreux, jusqu'à l'écoeurement : on retrouve énormément de bonnes choses, de bons concepts, l'ensemble est beau, dynamique et coloré, mais à trop jouer en vase clos avec ses propres règles (le fameux fire and forget), Gerard Way n'arrive pas à aller plus loin que le statut de lanceur de pistes laissées trop vite en blanc. On est d'ailleurs content que le Milkman soit amené à resservir - le personnage s'annonce passionnant, et complètement Morrison-ien dans sa scène d'origine, expédiée mais grandiose. 
 
L'équipe entière de la Doom Patrol défonce le quatrième mur à coups d'énormes maillets, depuis la structure narrative du numéro, son écriture, ses hommages dans le dessin ou son sujet même, en cela le contrat est rempli et on ne pourra accuser personne de voir le scénariste se plier à la gentillesse du monde plus normal du DC Proper. Il est juste dommage d'aller si vite, et de s'en tenir à un niveau que des lecteurs plus conventionnels pourraient ne voir que comme des gags balancés sans sérieux - ce qui est faux, on trouve ici une lecture assez intéressante du Golden Age, des copies de super-héros ou de la manipulation des masses, en filligrane d'un arc ultra-compressé qui fait le job, sur tout un tas de points. On attend donc impatiemment la suite, en espérant que les concepts y seront poussés plus loin.


C'est une petite réussite que ce premier crossover JLA/Doom Patrol, mais pas encore l'événement du siècle pour DC ou Young Animal. L'entrée en matière est bonne mais ne se départit pas des fautes de rythme propres à Way, un accélérationniste de la création qui aime en donner beaucoup, à grande vitesse et sans faire de ses récits souvent partis d'une base intéressante les Animal Man(s) de demain. C'est dommage, mais le contrat est honnêtement rempli, on n'attendait pas autre chose et la générosité d'ensemble, associé à de vraies bonnes trouvailles, fait largement le boulot pour inciter à continuer dans cette voie. On saluera donc l'éditorial de DC de laisser l'auteur jouer avec ses jouets, en espérant que cette marque de confiance pourrait à terme amener d'autres héros connus à quitter le tronc principal pour revenir chez Youg Animal - en quelque sorte, le Vertigo moderne avec l'esprit de l'époque.

Corentin
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