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Un Regard sur les Indés #13 : Wolf, d'Ales Kot

Un Regard sur les Indés #13 : Wolf, d'Ales Kot

chronique

Il est toujours difficile de voir au moment même où il se produit qu'un changement est en train d'affecter un art. Cela fait pourtant un moment que nous avons identifié la révolution portée par Image Comics comme un événement qui n'est sans doute pas un épiphénomène mais bien un changement majeur de l'industrie. Cette révolution va même au-delà du strict domaine des comics, et en dit beaucoup sur les réponses qui peuvent être apportées à l'état de notre monde. En ce sens, Ales Kot est l'un des auteurs les plus représentatifs de ce changement, porteur d'un art plus éthique, plus franc et définitivement plus créatif que nombre de ceux que l'on retrouve au sein de cette industrie. Son comics Wolf est en ce sens un porte-étendard de ce changement sémantique.

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• Wolf •

 

FICHE TECHNIQUE

Éditeur : Image Comics
Premier numéro : Juillet 2015
Nombre de numéros parus : 5
Genre : Polar urbain mystique

Basiquement, si l'on devait résumer Wolf, on se référera aux mots de son créateur qui décrit sa série comme l'histoire d'un détective immortel et suicidaire qui va faire la rencontre d'une jeune fille endommagée par la vie qui pourrait bien être l'Antéchrist. Tout ça dans un Los Angeles que l'on parcourt de ses quartiers les plus sinistrés aux hauteurs d'Hollywood qui abritent stars et hommes d'affaires les plus retors qui soient. Une histoire où l'on va croiser le fils d'un Grand Ancien qui connait des fins de mois difficiles, une vampire bloquée au pire jour de ses menstruations pour le reste de sa non-mort, un représentant des 1% raciste et adepte des rituels sataniques ou encore une petite douzaine de fantômes. Au milieu de ces personnages, Antoine Wolfe donc. Ancien soldat en Irak qui se traine un syndrome de stress post-traumatique (Kot en parle aussi dans The Material, et son run de Secret Avengers ne traitait finalement que de ça), noir (ça a son importance dans l'histoire) et qui a décidé de mettre ses capacités paranormales au service de sa communauté.

Un John Constantine complément réactualisé qui se traine dans le hood en venant en aide à ceux qui viennent le voir et qui va se retrouver embarquer dans une affaire qui va bien sûr le dépasser. Car avant tout, Wolf est un polar dans la pure tradition du genre, celle qui a écrite par des gens comme Dashiell Hammett, Raymond Chandler ou James Ellroy, où le détective se retrouve bien souvent embringué dans des événements qu'il ne peut maîtriser. Ici, c'est ce milliardaire qui l'embauche en ayant un plan obscur en tête. Wolfe en a conscience, il sait bien que celui-ci lui cache des choses (et il va aussi très vite lui apparaitre que son commanditaire n'a aucune intention de le laisser en vie) mais c'est pour lui le seul moyen de tirer son frère de prison. Là déjà, on retrouve un Ales Kot militant, activiste en quelque sorte, qui va nous mettre en scène le système carcéral américain, privé, qui se fait énormément d'argent sur le dos de ses prisonniers. Noirs pour la plupart, car évidemment, Wolf parle aussi de racisme.

C'est le tour de force de ce comics, parler de sujets de société, voire philosophiques, tout en proposant un véritable récit prenant, où l'on se prend d'affection pour les personnages et qui nous tient en haleine à chaque page tournée. L'écriture d'Ales Kot a toujours quelque chose à dire, elle transcende le cadre de sa narration, grandit en son lecteur par les questions qu'elle lui force à se poser. Wolf est un comics qui comme les plus grandes histoires ne parle pas que de lui-même. Déjà, par les sujets qui sont abordés ici et là au fil des pages, le racisme certes, mais aussi le patriarcat, notre système social ou l'importance de la culture (il est souvent rappelé que Wolfe est un lecteur avide, et que cela le grandit tout en le différenciant des autres). Au-delà de ces thèmes évoqués ça et là, Wolf pose une grande question : Qu'avons nous fait de nos mythes ? Il rejoint en ça American Gods de Neil Gaiman, avec lequel il entretient une forte filiation, par cette volonté de plonger au sein d'un monde dramatiquement réel les éléments du mythe, même si Kot cherche plus du côté de la culture populaire que de la mythologie sur laquelle s'appuyait l'écrivain britannique.

Un autre point commun qu'entretiennent les œuvres de l'Anglais et du Tchèque, c'est l'importance qui y est faite de la synchronicité. Même si dans Wolf, le concept est évoqué plus clairement. La synchronicité est un principe mis en lumière par le psychologue Carl Jung, qui remet en cause les conceptions cartésiennes de notre perception. Ce concept explique comment on peut retrouver dans notre perception empirique de la réalité des occurrences qui ne font sens qu'à nos yeux. Comme entendre parler de lapin blanc dans une conversation et plus tard dans la journée en croiser un. Libre à nous de le suivre ou pas. Ce concept est à rapprocher avec celui d'inconscient collectif, les deux agissant sur un plan qui est loin du rationalisme. Ce qui dans notre société occidentale est grandement mal vu (et a valu à Jung une incroyable désapprobation de ses pairs quand on la met en rapport avec le succès qu'ont remporté ses autres théories plus prosaïques). La synchronicité est pourtant la première étape vers les mythes, et par extension la magie. On comprend bien pourquoi ces deux auteurs (mais beaucoup d'autres aussi, comme Alan Moore) s'y sont intéressés.

Il serait aussi difficile de parler de Wolf sans en évoquer le reste de l'équipe créative. Premièrement, parce qu'Ales Kot lui-même se bat pour que sur chacun de ses comics soient crédités à parts égales dessinateur, encreur, coloriste, encreur (il n'y en a pas ici en l'occurrence) et même le responsable de la maquette. Ensuite, parce que Matt Taylor est un pur génie de la mise en scène. Son dessin n'est certes pas le plus virtuose, le plus détaillé, mais il a une telle science du storytelling, de la création d'ambiance et du point de vue que ses pages vous happent aussitôt. On marche dans les pas d'Antoine Wolfe, ressentant le soleil de Los Angeles et humant l'asphalte chauffé. On sent sous le pied le béton et le sable, on sent dans l'air le feu et le sang. Tout ça grâce à un dessin qui est bien plus pensé que ce qu'il en a l'air. Et aussi grâce aux couleurs de Lee Loughridge qui saisit magnifiquement bien l'ambiance et la restitue à merveille.

En définitive, Wolf est un comics très générationnel (Ales Kot a seulement 28 ans). C'est une série qui parle du monde et de l'impasse dans laquelle il semble vouloir persister. Il parle aussi de ceux qui veulent traverser la vie sans compétition, sans violence, sans avidité, alors qu'un système pervers est entretenu par des privilégiés. Enfin, il parle aussi d'être sensible aux mythes, au spirituel, même lorsqu'on est athée. Tout cela, il le dit en sous-texte, n'oubliant le plus important : l'histoire. Car Wolf c'est avant tout le récit captivant de ce détective qui embarqué dans une affaire qui le dépasse. Récit qui a reprit il y a deux semaine avec le cinquième numéro qui ouvre un nouvel arc, en invitant un nouveau dessinateur, Ricardo López Ortiz. Cette histoire risque d'ailleurs de durer longtemps puisque Ales Kot avait initialement prévu quarante numéros et qu'il a déjà commencé à rajouter des éléments dans son scénario. Comme il le dit lui-même, il est sensible à ce que son œuvre a à lui dire. Ça tombe bien, nous aussi.

Alfro
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