Si Skottie Young est connu depuis de nombreuses années pour être un illustrateur de génie, aussi capable de magnifier les pages d'un conte pour enfant (Fortunately, the Milk, qui sera dessiné chez nous par Boulet), de livrer des pages de BD aussi belles que montrant une réelle maîtrise de l'art séquentiel et bien sûr de faire des couvertures variantes qui s'arrachent chaque mois, il a depuis quelques temps mué en faisant apparaître un autre de ses talents : celui de scénariste. Marvel, visiblement convaincu par son travail sur Rocket Raccoon lui a confié (ou plutôt, l'a laissé faire) un one-shot pour le moins barré.
Le prétexte Secret Wars permet aux artistes de Marvel de se laisser aller à toutes sortes de folies. Cela fait désormais plusieurs semaines que l'on y a le droit, mais nous avons peut-être atteint ici un nouveau sommet en termes de projet complétement barré. Le principe de Howard the Human est assez simple, le fameux canard détective est ici le seul humain dans un monde d'animaux anthropomorphes, inversant tout bêtement la problématique du personnage qui reste le meilleur easter-egg de Guardians of the Galaxy. Un postulat de départ assez basique donc, mais suffisamment absurde pour que attiser notre curiosité. Surtout que Skottie Young est au scénario, et cela nous convainc de se pencher sur ce fameux one-shot, et grand bien nous en a pris. Car l'Américain nous avait déjà prouvé à travers ses variantes Babies qu'il maniait avec brio le décalage hilarant, et va étendre ce talent à un numéro tout entier.
Le postulat dépassé, on découvre un véritable hommage au polar, le vrai, le noir, celui qui se déroule dans des ruelles sombres et fumantes, des tripots mal-famés et qui convoque toute une brochette de tronches patibulaires. D'ailleurs, Skottie Young va directement citer son inspiration principale, ce génie de Raymond Chandler, au détour d'une réplique. Histoire de bien démontrer que l'exercice proposé ici est celui de l'hommage. Et le scénariste en maîtrise tous les codes, avec sa galerie de personnages typiques, son langage argotique si jouissif et même la narration qui emprunte clairement aux modèles du genre. Jusqu'à une fin façon "Rira bien qui rira le dernier" qui est habituelle dans ce genre. Parfois, l'hommage est poussé un poil trop loin, mais comme c'est toujours fait avec bon goût, difficile de lui en tenir rigueur.
Là où l'exercice de style devient réellement virtuose, c'est qu'au-delà de l'hommage au polar, Young s'amuse avec l'univers Marvel lui-même. On croise ainsi un lézard patron de bar évidemment nommé Connors, un truand vautour répondant au doux nom de Toomes ou un gorille dans un fameux costume trois-pièces blanc. Des clins-d'œil s'éparpillent tout au long de cette histoire, courte mais maîtrisée de bout en bout. On sent que le dessinateur des comics Oz prend énormément de plaisir à détourner les codes du polar autant que ceux de l'univers de la Maison des Idées. Un plaisir qui exsude de chaque page pour contaminer le lecteur, bien aidé par la gouaille des personnages et les situations que l'on reconnaitra forcément.
Surtout que Young n'est pas venu seul, puisque le dessinateur n'est autre que Jim Mahfood. Pas l'artiste le plus connu de l'industrie mainstream, celui-ci est une petite célébrité dans les comics underground. Aussi à l'aise dans l'illustration pure (il expose régulièrement ses œuvres qui convoquent tour à tour la culture hip-hop, le psychédélisme le plus hallucinant et l'absurde génial) que dans la réalisation de pages de BD, on a récemment pu voir son travail séquentiel dans les derniers Tank Girl. Le dessinateur du comics de Ziggy Marley (Marijuanaman, obviously) arrive ici avec son style volontairement "mal-dessiné" qui pourra rebuter au premier abord mais qui se révèle génial dans la composition, le découpage et le dynamisme qu'il infuse dans chaque case. Bien aidé par son coloriste et compère de toujours, Justin Stewart, le dessinateur/graffeur/designer achève de faire de ce titre un délice de comics.
Ce comics aurait aussi bien pu trouver sa place dans le rayon comix underground, Howard the Human n'étant qu'un plaisir éphémère dont la seule existence se justifie par les dix minutes de bonheur séquentiel qu'il procurera à son lecteur. Un one-shot où deux artistes en roue-libre pensent d'abord à s'amuser et qui dans l'opération livre un petit bijou sans conséquences, si ce n'est qu'il risque de vous laisser un sourire bête au travers du visage.