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Un regard sur les indés #8 : Shutter

Un regard sur les indés #8 : Shutter

chronique

Cela fait un petit moment que Joe Keatinge a décidé de tout dynamiter sur son passage chez Image Comics en prenant de plus en plus de poids au sein de l'éditeur indé. Bonne idée du protégé d'Erik Larsen dont le passage chez Marvel se résume, à quelques mini-séries près, à la série Morbius, morte-née malgré des qualités évidentes. Pas de soucis, sa dernière série creator-owned rencontre bien plus de succès.

• Shutter •

Fiche technique

Éditeur : Image Comics
Premier numéro : Avril 2014
Nombre de numéros parus : 13
Genre : Aventure onirique

 

"All Worlds are yours now."

Révélé par la mini-série Hell Yeah, du super-héros sur fond de conflit générationnel et de révolution punk, et surtout consacré par Glory, la reprise du fameux personnage de Rob Liefield et Alan Moore, Joe Keatinge appartient à cette nouvelle génération d'artiste qui ont été biberonnés à la BD mondiale, qui multiplient les influences et qui explosent actuellement du côté de l'indé (et que les deux majors essaient d'attirer à eux en ce moment). Pourtant, si on s'en réfère à PopGun, comics anthologique qu'il a édité dès 2007 et qui comportait tout le gotha de l'indé de qualité (Paul Pope, Mike Allred, Dan Hipp, Jim Mahfood ou Rick Remender pour ne citer qu'eux), il était presque trop sage. Mais sa dernière série semble enfin être celle de son éclosion, celle où il laisse un imaginaire en roue libre pour servir une histoire tout aussi riche.

Shutter c'est avant tout un univers, vaste, immensément vaste. Et complexe aussi. Difficile de s'y retrouver dans le premier numéro où l'on débarque dans une New York qui semble être dans un futur proche mais où l'on peut croiser un aigle géant qui sert de bus, des animaux anthropomorphes à tous les coins de rue (on a l'impression d'être dans Dragon Ball !), des ninjas fantômes ou un Monsieur Loyal robotique et diabolique. Et tout ça, ce n'est que dans les vingt premières pages d'une série qui n'hésite jamais à partir dans tous les sens. Keatinge et sa dessinatrice Leila del Luca ont visiblement ouvert toutes les vannes de leur imagination pour qu'elle puisse irriguer chaque page de cette série d'idées aussi folles que géniales.

À propos de cette dernière, qui tout comme son scénariste et un nombre impressionnant d'artistes de comics, habite à Portland, on découvre ici son premier véritable travail d'envergure. Difficile à croire pourtant, elle qui n'avait fait que quelques numéros ici et là, pour des éditeurs underground comme Action Lab, livre là des planches aussi maîtrisées que superbes. Dans la composition ingénieuse, le trait souple et sensible et son goût pour les détails qui foisonnent dans les arrière-plans, Del Luca nous offre une série qui s'épanouit visuellement, la porte d'entrée rêvée et merveilleuse à un monde qui nous surprend constamment, porté par une héroïne forte en gueule et en énergie, Kate Kristopher, exploratrice de l'inconnu qui a raccroché les crampons. Jusqu'à un chamboulement de situation, évidemment.

"You've gotta be the coolest person I have ever met !"

L'histoire que nous propose Shutter, c'est avant tout une grande aventure au rythme complètement dingue. Quand on va chercher à l'assassiner, à coup de ninjas, puis de bombe et enfin d'un dragon à tête de mort, notre héroïne va se rendre compte que son histoire familiale est un immense mensonge. Bien forcée de reprendre du service, surtout quand sa colocataire Alain, une scientifique transexuelle avec une toute aussi grande gueule, est laissée au bord de la mort, Kate va alors s'enfoncer dans une aventure au rythme endiablé que n'aurait pas renié Indiana Jones. On va tellement vite qu'à peine le temps de rencontrer un concept de génie sorti de la tête de Keatinge qu'un autre vient prendre sa place.

Cependant, les artistes ne sont pas là pour nous faire défiler une suite d'idées saugrenues en forme d'ode à la libéralisation de l'imagination (le chat-robot-philosophe qui fait alarme et jarre à cookies ferait presque de l'ombre au Lying Cat de Saga). Ils jettent aussi un tas de réflexions, sur le monde, la vie, la mort, mais surtout sur la famille et la mémoire qui sont au centre de ce récit qui sous ses apparences de grand show absurde laisse en fait de vraies pistes d'interrogations. Surtout qu'il apparait que Joe Keatinge a visiblement envie de faire durer le plaisir puisque le douzième numéro, sorti le mois dernier, ne marquait que la fin du premier arc. Une histoire au long cours qui ne cesse d'ailleurs de se complexifier à mesure que de nouveaux personnages rentrent dans la danse.

La richesse du contenu est évidente, et est surtout mise en valeur par une richesse d'édition. C'est un peu ingénu de le dire ainsi, mais il est évident que toute l'équipe créative a à cœur de travailler en synergie pour obtenir le meilleur comics possible. Cela devient évident quand Ed Brisson, lettreur de génie annonce qu'il va partir (il écrit depuis peu, toujours chez Image, The Mantle), tout un encart lui est offert pour qu'il puisse faire ses adieux aux lecteurs. Et quand John Workman le remplace à partir du septième épisode, c'est toute une page qui nous présente cette autre pointure dans le monde du lettrage. Ils tiennent visiblement à fignoler au moindre détail (jusque dans les comic-strips présents dans chaque numéro) cette série dont ils savent pertinemment qu'elle dépasse les standards de la série lambda. Parce que ces artistes la créent avec la furieuse envie de donner tout ce qu'ils ont. Au final, c'est encore le lecteur qui est gagnant !

Alfro
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