Perdu au sein de l'édition comme il peut l'être dans le cosmos au cours d'une de ses nombreuses séances de méditation transcendantale entre néo-hippie et intellectuel camé, Grant Morrison semble empiler les projets comme les perles ces derniers temps sans pour autant s'approcher de la superbe qu'on a pu lui attribuer au cours des années 2000. De retour aux choses sérieuses et plus indé' (que son trop complexe Multiversity), l'Écossais loue sa plume à Legendary Comics, greffon éditorial du studio de cinéma du même nom et éditeur discret depuis ses débuts il y a quelques années maintenant.
Annoncée en 2012 (!), Annihilator signe les retrouvailles entre un scénariste qu'on ne présente plus et un dessinateur sous-estimé (Frazer Irving), eux qui avaient fait des merveilles ensemble sur Batman notamment. Basiquement, l'histoire raconte la même histoire que beaucoup d'autres avant elles, celle d'un auteur (Ray Spass - Prononcez Space) un peu perché et en manque d'inspiration, qui se plonge la tête la première dans les univers cosmiques qu'il imagine depuis le début de sa carrière. Comme dans beaucoup d'autres histoires semblables, celui-ci trouve son alter-ego dans cette vie fantasmée et romancée, le bien nommé Max Nomax, alpha-héros ténébreux et aventurier de Science-Fiction comme beaucoup d'autres avant lui.
Mais là où Annihilator prend tout son sens, au-delà de cette application très propre du petit manuel de "ma première histoire de S-F", c'est lorsque Grant Morrison prend la parole au travers de son avatar de héros écrivain et se permet de théoriser sur les grandes questions qui nous entourent, en tournant toujours autour de l'une des plus fondamentales d'entre elles : que cache l'univers, dans tous ses plans ? Évidemment, tout ceci ne se fait pas au travers de longs monologues néo-philosophiques haut-perchés et c'est là que toute l'expérience du scénariste parle, puisque c'est au travers de l'histoire écrite par son personnage de Ray Spass (qui sert également d'intro' au titre) que va se faire ce cours un peu didactique de "la vision des grands schémas" au travers des yeux des scénaristes eux-mêmes, d'un côté et de l'autre du 4ème mur.
Qui dit Grant Morrison dit forcément rock'n roll et l'envie toujours présente de faire voler en éclat les conventions, en témoigne quelques pages de dialogues sur l'influence de la drogue sur l'inspiration de l'auteur face à son diable (de carriériste) d'éditeur. Là aussi, la mise en abîme de la vie de Morrison est évidente, surtout lorsque son avatar se plonge à corps perdu dans l'écriture pour mieux chasser ses démons et en sortir pour revenir dans son orgiaque pragmatisme de has-been à succès blindé aux as et partouzeur, sans oublier d'en placer une pour le cannabis, une cause chère au scénariste exilé la moitié du temps en Californie.
Je ne vais évidemment pas vous spoiler le plot d'Annihilator, qui se contente ici d'une introduction aussi solide qu'irrévérencieuse, mais sachez que le cliffhanger (aussi convenu que bienvenu) qui sert de fin à ce premier numéro devrait vous donner une furieuse envie de "reviens-y" ce mois-ci pour le second chapitre.
Enfin, il est impératif de mentionner le talent de Frazer Irving, plus libre et apparemment plus motivé que lorsqu'il travaille pour des majors, qui livre une copie toujours aussi peu remplie mais nuancée jusque dans ses moindres détails. C'est brillant et c'est tout ce dont avait besoin Morrison, qui semble avoir adapté le script pour le style de découpage si particulier de son collègue et ami. Dernier point : l'édition IMPECCABLE de Legendary, qui offre couverture et papier d'excellente qualité, pas la moindre publicité, une pagination supérieure à la moyenne et une preview en bonus, le tout pour la modique somme de 4$. Quand on voit les comportements cavaliers de Marvel et DC en face, tout ceci donne à réfléchir.
Annihilator est l'un des titres les plus personnels de Grant Morrison. Se transposant (pas toujours très finement) dans la peau de son personnage de Ray Spass, l'Écossais livre une série-miroir à l'exécution parfaite tout en appuyant quelques concepts plus nobles qui lui tiennent à cœur, sans jamais tomber dans le trop plein d'auto-références ou d'abus de narration. Du très grand Morrison, qui n'en finit plus de parcourir le paysage des éditeurs de Comics américains en leur laissant quelques souvenirs de haute volée.