L'une des principales et plus virulentes critiques que l'on entend à l'égard du genre super-héroïque, genre majoritairement représenté par les comics, est qu'il s'agit d'une littérature qui aurait des tendances suprémacistes. Le super-héros serait une figure absolue qui servirait de base à une philosophie prônant la loi du plus fort sur le plus faible, ces encapés capables de soulever des immeubles étant l'allégorie d'une idée qui incite à croire que nous, pauvres hères, sommes dépendants d'êtres plus puissants, naturellement plus aptes à faire régner l'ordre et la justice. Michel Gondry, qui était en pleine promotion pour Green Hornet, s'était même permis cette sortie : "Il y a une imagerie fasciste associée à l'idée des super-héros".
Des propos puissants, qui ont fait grincer bien des dents. Surtout que ces paroles rentrent en conflit direct avec l'histoire même du super-héros, Superman ayant été conçu par deux Juifs lors de la montée du fascisme en Allemagne, alors qu'Hitler annexait la Tchécoslovaquie avec l'approbation silencieuse du reste du monde. Comment un genre né de la lutte contre le fascisme pourrait être ainsi assimilé à ce qu'il est censé combattre ? Surtout que les valeurs morales exposées dans bons nombres de comics sont on ne peut plus éloignés de celles qu'avaient en têtes les fascistes de tous crins.
Pourtant, en y repensant un peu, il est vrai que ces hommes et femmes ont tout pour être les parfaits porte-étendards de théories suprémacistes. Rien que par leur apparence, ils sont généralement des parangons de la salle de sport, statues grecques n'affichant aucun défaut visible, de parfaits aryens. Quand Billy Batson devient Shazam, il passe du corps d'un enfant chétif à celui d'un héros qui n'a rien à envier à ceux qui parcourent les pages des récits d'Homère. Pire exemple, quand le brillant mais pas bien fort Bruce Banner devient l'incarnation du fantasme viril en devenant Hulk. À cette sculpturale apparence, on est obligé de citer une croyance inoxydable dans leurs valeurs, qui sont souvent celles de la justice rendue par soi-même, en dépit des lois auxquelles se soumettent la plèbe. Ces êtres supérieurs n'ont donc pas à se plier devant les lois qui régissent les simples mortels du fait de leur seule puissance.
Ce sont donc des surhommes, au-delà de la simple humanité. Rien de plus facile donc d'y voir une figure suprémaciste, affirmant leur supériorité sur le genre humain par une condition naturelle supérieure. Fi donc de l'égalité des êtres ? Pourtant, à bien y repenser, cela ressemble à la même erreur d'interprétation que celle que firent les théoriciens du nazisme quand ils ressortirent le concept de Surhomme des écrits de Nietzsche. Ce concept qu'il va définir dans les pages d'Ainsi parlait Zarathoustra fût une des bases pour justifier l'aryanisme. Ils avaient pourtant, sciemment ou non reste encore une question qui peut être soumise à débat (mais ne négligeons jamais le cynisme des penseurs politiques), interprété de travers les propos du philosophe allemand. Son concept de Surhomme ne se définissait pas en terme de nature, nul ne nait surhumain, mais le devient.
Ainsi, chez Nietzsche, le Surhomme est celui qui est animé par la Volonté de Puissance au plus haut point. Encore une fois, ce concept fut soumis à des interprétations dangereuses, car il n'est soumis à aucune règle morale, cette dernière étant une création humaine. La Volonté de Puissance, c'est ce qui pousse l'humain à voir au-delà de sa condition biologique, à devenir plus. Pour l'auteur du Gai Savoir, ce concept implique que l'on devient ce que l'on peut devenir mais que seule la volonté permet d'aller au-delà de la simple nature biologique. Là où le concept est dangereux, c'est qu'il justifie tout acte qui exprime cette volonté, même si celle-ci s'affirme dans la violence ou l'écrasement des autres. Elle n'entre dans aucune case idéologique puisqu'elle reste individuelle, même si on reste persuadé que son expression la plus accomplie est celle de la culture, cette dernière étant l'apanage de l'être humain.
De plus, le Surhomme s'entend aussi dans le sens où il est celui qui a atteint l'Éternel Retour. Autre concept fondamental de la pensée nietzschéenne, il définit que s'il l'on proposait aux hommes le soir de leur mort de revivre exactement à l'identique leur existence ou de retourner au Néant, la plupart choisirait les ténèbres inconnues du trépas, ce que Nietzsche appelle alors le nihilisme incomplet, en opposition à celui qui anime le surhumain, qui lui est animé du nihilisme complet, puisqu'en pleine possession de sa Volonté de Puissance, parcelle de celle qui compose l'univers, il n'hésiterait pas à embrasser cet éternel recommencement. Oui, encore cette foutue spirale.
Cet écart métaphysique n'est pas une errance de l'esprit, mais permet de démontrer que le super-héros en tant qu'incarnation fictionnelle du Surhomme ne pas pas être plus éloigné du fascisme. En fait, l'expression de sa puissance ne se fait encore une fois qu'individuellement, s'il se fait justice par lui-même, c'est qu'il répond à sa volonté qui lui intime de protéger ce en quoi il croit. En cela, le genre super-héroïque peut en revanche poser de nouvelles questions d'ordres éthiques, puisque le Surhomme nie toute forme de politique ou de morale humaine, si jamais celles-ci entrent en contradiction avec sa propre Volonté de Puissance, ce qui donnera d'ailleurs des récits comme Civil War, pour l'aspect schématique, ou The Dark Knight Returns, où l'on voit tout le côté "dérangeant" que peut avoir le Surhomme. Si jamais il n'obéit pas aux lois humaines, puisque ses aspirations sont désormais métaphysiques, n'est-il pas alors un ennemi à la société ? La question qui découle alors tout de suite est : Et si la société ne permet pas à l'humain d'exprimer son plein potentiel, celle-ci ne serait-elle pas inhumaine ? Question autrement plus intéressante, qui est souvent posée par des non-lecteurs de cette littérature qui plus est, que de savoir si des personnages, qui sont là pour propager des valeurs comme l'entraide ou l'acceptation de l'autre, seraient des figures suprémacistes. N'en déplaise à Michel Gondry, qui devrait pourtant avoir passé assez de temps avec Noam Chomsky pour savoir faire la part des choses entre la Fabrication du Consentement et de la littérature de loisir.