À l'heure où un Raton Laveur et son équipe viennent de battre le plus gros placement produit de la carrière de Michael Bay sur ses terres, tous les yeux semblent tournés vers le cinéma, sa logique d'industrie effrénée et sa gestion de fans toujours plus nombreux. Si l'on a vu récemment que Marvel Studios ne faisait que calquer la logique qui était la sienne en BD depuis des années, rendant ainsi hommage aux créateurs et aux hommes d'idées qui l'ont façonnée, il est urgent de se pencher sur la condition du matériau de base, fait de bulles et d'onomatopées.
Ainsi, si ce n'est plus un secret que les meilleurs artistes de Marvel et DC sont partis trouver le bonheur chez Image Comics et son lectorat fidèle à l'heure où le glissement s'est opéré vers le grand écran, il est de bon ton d'interroger la viabilité des parutions actuelles. Victimes d'un abandon éditorial tacite ou injustement remis à la place qui est la leur ? Les Comics d'aujourd'hui semblent plus que jamais prendre la forme d'un catalogue vivant, presque organique, où Hollywood peut piocher ses idées avant de les lui imposer, par le biais d'une logique commerciale implacable.
L'agent Coulson, grand gagnant de la logique de Marvel Studios.
Marvel, le transmédià-peu-près
Nous n'allons pas refaire l'histoire : nous étions les premiers flippés du rachat de Marvel par Disney il y a de ça quelques années, alors que COMICSBLOG.fr n'existait même pas en idée. Pourtant, de longs mois plus tard, le pari semble gagnant pour les deux géants de l'entertainment réunis sous la même bannière, matérialisé par les succès colossaux/cosmiques de leurs créations.
Et si nous sommes les premiers à nous réjouir du rythme mis en place par la firme vis-à-vis de ses super-héros au cinéma, décuplant perpétuellement les sorties, les évènements et l'attente de ses fans, il faut bien prendre conscience que ces faiseurs de milliards sont issus de l'imagination d'artistes disparus, trop souvent oubliés. Juxtaposer les styles et les particularités d'un pan à l'autre de son univers hétéroclite avant de les réunir n'est pas le fruit d'un marketeux en mal de reconnaissance à Hollywood, mais bel et bien d'une bande de fils d'immigrés qui ont décidé de faire de petits bureaux à Manhattan une fabrique à rêves, ne cessant jamais d'écrire, de dessiner, d'inventer, de se transcender.
Évidemment, Disney n'a rien à voir avec la disparition de ses ateliers de rêves, étant arrivé après la relance de Marvel au niveau de ses Comics grâce à Internet et à une ouverture sur le monde bienvenue, mais c'est bel et bien depuis l'arrivée de Mickey et des siens que les lignes ont commencé à bouger. Presque figé avant son essor au cinéma, le monde des Comics était bien plus sage (dans tous les sens du terme) dans les années 2000 qu'aujourd'hui et les quelques lecteurs qui partageaient leur passion à travers le monde devaient bien souvent se contenter/se délecter de longs runs, de crossovers tous les 12 mois et d'une certaine lenteur aujourd'hui lointaine. Il faut maintenant mélanger, mixer, insérer de nouveaux personnages issus de la TV, forcer les héros à s'affronter et bien sûr, continuellement, rebooter. Non pas que le constat soit alarmant, puisque beaucoup des faiseurs de Comics d'aujourd'hui sont les mêmes qu'hier, mais il est clair que le matériau d'origine, celui qui servait d'inspiration, est aujourd'hui devenu un média supplémentaire dans la logique de toute puissance des héros Marvel. Cinéma, Goodies et Jeux Vidéo étant des secteurs bien plus lucratifs, la partie Comics de la Maison des idées est conservée en raison d'une nostalgie compréhensible et d'une fan-base insatiable, faisant de la BD un secteur d'expérimentation et de fidélisation.
Les personnages créés pour et sur les écrans y font des aller-retours, les héros se déchirent dans des combats titanesques dont le budget pour les transposer à l'écran crèverait les recettes d'Avengers, évoluent chacun dans leurs coins et certaines logiques qui auraient été blasphématoires il y a quelques années encore deviennent des évènements dénués d'importance dans ce flot d'histoires super-héroïques débridées (l'ouverture de l'univers Ultimate vers la Terre 616 par exemple, qui était un tabou il y a quelques mois encore, et qui devient le sujet d'un numéro chez les mutants de Brian M. Bendis). Il n'est clairement pas ici question de tirer la sonnette d'alarme, mais de prendre conscience que plus que dans les années 2000 encore, les Comics sont là pour permettre au cinéma d'exister, aux créateurs de tâtonner et pour offrir sur un plateau la logique d'univers partagé (reprise à toutes les sauces depuis, et ce n'est pas Star Wars qui nous dira l'inverse).
Embourbé dans ses ambitions depuis de longues années, Warner Bros trouve enfin la porte de sortie avec DC. Zack Snyder étant maître à bord, son univers partagé peut désormais se construire et, à l'heure où j'écris ces lignes, son premier véritable bond en avant poursuit son tournage à Detroit avec Batman V Superman.
Et si aujourd'hui de petites retouches sont inlassablement demandées aux artistes de Marvel pour faire ressembler leur Scarlet Witch à Elizabeth-Olsen, Aquaman abandonnera-t-il demain sa tignasse blonde (vénitienne) pour prendre les traits des pectoraux bien dessinés de Jason Momoa, ou les pontes de DC prendront-ils la décision de bien scinder leurs deux univers ? Car après tout, le fan exposé à la logique de multivers entre la TV et le cinéma peut aisément saisir la particularité d'un troisième, quatrième ou cinquième univers en BD, mettant en scène des versions légèrement différentes (et appelés à devenir moins officielles mais plus officieuses qu'au cinéma, exposées à un plus large public) de ses héros favoris.
Déjà bien occupé par l'idée de faire vivre correctement ses héros et ses 52 univers sur papier, DC Comics ne semble pour l'instant pas réellement préoccupé par l'idée de donner les traits d'Henry Cavill à ses différentes itérations de Superman. Est-ce là une question de temps, ou une façon de contenter ses lecteurs ? L'avenir seul le sait, et la vraie question maintenant, c'est de savoir ce qu'il adviendra de ces géants de la BD Américaine une fois la hype des collants à l'écran disparue. Les mauvaises langues diraient qu'en attendant, il vous sera urgent de consommer, nous préférons penser qu'en attendant, il est urgent de bien vous amuser/évader/faire rêver.