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Petrograd, la review

Petrograd, la review

ReviewUrban
On a aimé• L'histoire dans l'Histoire
• La tension dramatique
• Le parti-pris graphique
On a moins aimé• Un dosage entre la mise en place des événements et l'action mal équilibré
Notre note

Urban Comics a réussi à bien lancer sa collection Indies, notamment grâce au petit chef d'oeuvre qu'est Saga, arrivé en France précédé par sa réputation flatteuse, ou à un John Prophet plein de qualités. Mais s'il s'agit là de véritables blockbusters en terme de comics indés, pas si loin des productions des deux majors c'est cette une pépite qu'est allé chercher l'éditeur chez Oni Press. Pas le plus en vue des éditeurs, mais pas le plus avare en titres de qualités, puisqu'ils nous ont offert ces dernières années les lectures de Scott Pilgrim et de The Sixth Gun. Alors est-ce qu'ils ont bien fait de fouiner pour nous rapporter ce Petrograd que l'on n'avait guère vu venir ?

 

"Nous ne pouvons pas permettre que la guerre soit une option pour eux."

Aborder le meurtre de Raspoutine n'a rien d'évident tant ce thème a été traité à de nombreuses reprises au travers de tous les médias. Pourtant, l'une des constantes dans ces histoires, c'est qu'il y a toujours un aspect romantique qui en ressort. L'originalité de ce Petrograd, c'est d'éliminer totalement cette tendance de son récit. Poussant même le vice jusqu'à avoir un héros qui perd au fil des pages son sens du romantisme, remplacé par un pragmatisme aussi froid qu'efficace. Il s'agit ici avant tout d'un récit d'espionnage, sur fond historique. La vision de Philip Gelatt pour son oeuvre est de replacer le meurtre du fameux conseiller du Tsar dans son contexte, la Première Guerre Mondiale qui affaiblit le pouvoir en place, où la montée des révolutionnaires marxistes est réprimée durement par la police secrète. Et pendant ce temps-là, des forces étrangères font en sorte que la Russie reste impliquée dans la guerre pour que l'Allemagne ait deux fronts à couvrir.


Dans ces forces étrangères, il y a notre héros Cleary, espion britannique qui se caractérise par sa lâcheté qui le pousse à manipuler dans l'ombre pour ne jamais avoir à se salir les mains. Le personnage tient le récit grâce à sa complexité, toujours sur la ligne floue des infiltrés, si bien que l'on se demande constamment quelle cause il embrasse, et où vont ses sympathies. Il trahit, manipule, use sans cesse du double-jeu, pour au final risquer sa couverture en faveur d'une révolutionnaire pour laquelle il s'est pris d'affection. Il est l'espion parfait, si ce n'est qu'il est trop romantique, qu'il a une vision idéaliste. Cet homme au passé flou se fait rattraper par la dure réalité quand lui-même se retrouve impliqué et obligé de conspirer pour tuer Raspoutine. Pris à son propre jeu, il a conscience depuis le début de cette opération qu'il court à sa perte, qu'il va finir broyé par le poids des événements. C'est d'ailleurs ici le seul point noir du récit, cette incroyable montée dramatique de la fin est atténuée par un démarrage bien trop didactique, qui rallonge le propos au moment où les rouages devraient s'engranger bien plus promptement.


"Tout ce sang et cette mort peuvent bien attendre un jour de plus."

Il est assez intéressant de remarquer comment est traité le personnage de Raspoutine. Il est finalement l'élément central de cette histoire, puisque c'est autour de lui que tourne toute l'intrigue, pourtant à aucun moment il n'est une force motrice du récit, et s'impose plus par son influence qu'il exerce sur tous ceux qui gravitent au sein de son imposante aura. Il est ici comme le monolithe de 2001, l'Odyssée de l'Espace, un catalyseur qui ne semble jamais agir mais qui déclenche une avalanche d'événements. Au fur et à mesure que l'on s'avance dans l'histoire, on se rapproche de l'impressionnante éminence grise. D'abord seulement évoqué avec crainte et fascination, on le voit petit à petit se rapprocher du protagoniste et de son destin funeste. On sent d'ailleurs que la chute se précipite quand après ne l'avoir vu qu'à travers une fenêtre, Cleary va le rencontrer par hasard lors d'une beuverie, comme si l'univers se moquait de lui, la base de toute bonne tragédie classique.

Il faut enfin soulever l'excellent travail de Tyler Crook sur ce titre. Dessinateur atypique, très fort quand il s'agit de faire ressentir l'émotion d'une scène, qui s'appuie tout du long sur le texte, préférant souligner l'ambiance qu'a désiré son scénariste plutôt que d'en mettre plein la vue. Dans une approche très intimiste, il propose une monochromie qui, si elle peut déstabiliser, a l'avantage de donner une assise historique à cette histoire. Tous les personnages sont caractérisés à merveille (même si parfois certains se ressemblent un peu trop, provoquant une légère confusion), et les décors sont somptueux. C'est un dessin tout en poésie et respiration, assez contemplatif, ce qui est rare dans les comics mais qui sert parfaitement une narration toute en insinuation et en double-jeu.



Petrograd est une pure histoire d'espionnage, dans la lignée des Hommes du Présidents ou des Trois Jours du Condor, plongée dans l'époque chaotique qu'est celle de la Russie des années 10. Tous les codes du genre sont respectés pour livrer un graphic novel passionnant et d'une grande intelligence. Une vraie bouffée d'air frais dans la production actuelle qui a tendance à ressasser sans cesse les même thèmes.

Alfro
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